Les primeurs à Bordeaux ou la comedia del’arte

Par Michel Dovaz*

/

Trois années se sont écoulées depuis ma dernière lettre bordelaise dont la Revue Vinicole Internationale s’était faite l’écho.
Si je reprends la plume aujourd’hui c’est pour que tu saches  que si le temps s’écoule, il n’a aucune prise sur le rituel parfaitement huilé de la dégustation des primeurs…

Donc à Bordeaux on a dégusté, matin et après-midi  les vins de 2010, puis le soir, suivant la méthode instaurée lors des Vinexpo, les châteaux proposent mondanités, dîners et bouteilles plus anciennes. La pièce, toujours la même est parfaitement rodée. Il n’y a que des acteurs et pas de public. Plus exactement, les acteurs sont complices, ils jouent entre eux, ils sont alternativement acteurs et public. D’un coté, les producteurs savent très bien que les 2010 présentés sont des hypothèses, des leurres ou des embryons, de l’autre, les dégustateurs, nullement dupes jouent leur rôle. Après tout, ils sont payés pour cela et pour satisfaire les lecteurs naïfs qui n’attendent que leurs piqûres de rappel pour prolonger leur rêve…

J’ai discuté avec un producteur qui écoule à chaud sa meilleure cuve dans une barrique neuve, peut être avec des copeaux en plus ( ?), une vinification intensive et accélérée. Sur cette barrique, on peut lire, écrit à la craie : barrique des journalistes.
Les participants étrangers logent au Bordeaux Palace, ils sont évidemment venu avec leur secrétaire. On ne les rencontre guère que le soir, smokings et robes moulantes de rigueur.
Ils n’iront pas à Pauillac picorer les tentatives culinaires inédites qui ne conviennent à aucun vin inventées par Marx, le cuisinier sous-marinier martien qui est « monté » à Paris.

Après tout, cela n’a aucune importance, pas plus que les subtils commentaires de mes savant confrères. Qui s’en souviendra, en 2012, lorsque les bouteilles seront disponibles, ou en 2016, si l’une d’entre elles est débouchée. Toutes ne le seront pas, car elles doivent résister à divers fléaux : la revente spéculative, l’incendie, l’inondation, le vol, le fisc, le divorce, la cirrhose, le goût de bouchon et le décès.

Brutal retour sur terre !
Tant que le prix des vins demeure inconnu, ce qui est le cas, Lafite et Latour ont beaucoup d’adeptes. Ultérieurement, lorsque les prix sont rendus publics, le retour sur terre est brutal. La Rose Trintaudon suscite de l’intérêt. Hier, je dégustais avec un jeune homme sympathique qui achète deux ou trois caisses chaque année. Il me raconte qu’il fêtait je ne sais plus quoi, qu’il descend à sa cave, ouvre une caisse de Latour 1982, remonte une bouteille et demande à sa femme : « Regarde dans le bouquin la cote du Latour 1982.

–    Près de 1.000 euros.
– Ah non, je n’ai pas les moyens de boire des bouteilles  à 1.000 euros » Et, me dit-il,   « je vais  vendre cette caisse à Drouot ».

Michel Dovaz

(Note de la rédaction : évidemment, Michel Dovaz n’a pas envoyé sa lettre. D’ailleurs, il n’a pas de cousin.)

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.