Hildegarde de Bingen: un docteur de l’Eglise pour un réel bien-être

/Nommée Docteur de l’Église par le Pape en octobre 2012, Hildegarde de Bingen, moniale du XIIème siècle, apparaît plus actuelle que jamais.

Investie auprès des rois et des empereurs de son temps,conscience des clercs qu’elle trouve parfois tièdes, musicienne, instigatrice d’une pharmacopée inédite, Hildegarde illustre le génie de la femme au Moyen-Âge tout en étant un modèle pour nos contemporaines. Agissant en toutes choses « avec féminité » tout en étant dotée d’un fort caractère, la moniale bénédictine allemande (1098-1179) fulmina contre les pratiques efféminées des hommes de son temps et les exhorta à se comporter en hommes.

Dans une œuvre magistrale, inspirée par des visions, cette religieuse qui n’avait pourtant pas suivi d’études, met en place  une conception intégrale de la personne : de la théologie en passant par la médecine, l’hygiène de vie, la manière de se nourrir et d’utiliser les plantes, la cosmologie, et surtout une anthropologie. « Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes ».
Pour le père Dumoulin, spécialiste d’Hildegarde de Bingen, organisateur des sessions annuelles, « toute la richesse de l’Occident chrétien est synthétisée dans ses Trois Livres de vision.« 

Questions au Père Pierre Dumoulin, recteur de l’Institut de Théologie de Tbilissi (Géorgie), et auteur de Hildegarde de Bingen, Prophète et Docteur pour le troisième millénaire*.

CultureMag : Pourquoi l’Église a-t-elle nommée Hildegarde « docteur » ?

Père Pierre Dumoulin : Hildegarde est la 4ème femme « docteur », alors qu’il y a 31 hommes. Ce titre est réservé aux saints qui ont écrit quelque chose d’important pour la connaissance de Dieu.
Cette femme du XIIe siècle a donc quelque chose à dire à notre époque. En son temps, elle s’est impliquée dans la société et la politique. Elle a joui d’une autorité telle qu’elle a pu se confronter aux plus hauts dirigeants : papes, empereurs, nobles, haut-clergé… Elle a fait des « tournées » de prédication pour réformer la société corrompue. Mais c’est surtout le contenu théologique de ses écrits qui est impressionnant. Hildegarde jouissait de visions et les dictait. Cet enseignement est renfermé dans trois livres qui forment une véritable « Somme Théologique » en images, car nous sommes à une époque où l’on préfère les symboles, les paraboles aux concepts abstraits. Enfin Hildegarde est une femme passionnée, rien de ce qui est humain ne lui est étranger : consacrée à Dieu, elle baigne dans la prière, mais elle est aussi chef d’entreprise, éducatrice, musicienne, bâtisseuse, écrivain, spécialiste des plantes, femme politique, …

CM : Peut-on considérer ses conseils de diététique comme avant-gardistes ? Serait-ce la première écologiste ?

P. P. D : Les deux livres de pharmacopée de Ste Hildegarde sont les plus anciens que nous possédions. Elle y décrit les vertus des plantes, des fruits, des métaux, des minéraux, etc. Elle explique comment les utiliser. En cela elle pratique la médecine médiévale, basée sur les « simples », attentive à la manière de se nourrir. Pas pour maigrir ! Il ne s’agit pas ici de « régime », mais d’un équilibre de vie spirituel, moral et physique qui commence par l’attention à ne pas commettre de fautes morales et qui finit par ce que l’on ingurgite, afin de ne détériorer ni son corps ni son âme. Hildegarde nous invite à restaurer l’harmonie avec la création, donc avec le Créateur. L’homme moderne prétend s’affranchir de Dieu, de sa conscience et des lois naturelles : il court à la catastrophe. Hildegarde est « éco-logiste », dans le vrai sens du terme : elle est « logique » avec sa foi en Dieu Créateur. Elle affirme que la pollution est d’abord au cœur de l’homme : c’est la conséquence  de la volonté de puissance, de richesse et de plaisir des hommes qui sont prêt à tout détruire pour satisfaire leurs égoïsmes… quelle actualité !

CM : Sont-ils encore valables pour notre époque ?

P. P. D. : Les principes que nous donne Hildegarde sont valables en tout temps. Il ne faut pas être fanatique, se méfier des traductions et, bien sûr, rester sous contrôle médical. Mais les plantes qu’elle conseille sont salutaires, comme l’épeautre et le fenouil, bases d’un équilibre nutritif, l’hysope, le pyrèthre, le serpolet et tant d’autres épices… C’est surtout l’attitude par rapport à la nourriture qui doit changer : se nourrir est un acte important, qui nécessite du temps, une vigilance, une préparation du cœur,… on est loin des fast-foods et des sodas !

CM : Comment expliquez-vous l’engouement de nos contemporains pour la philosophie de vie et les conseils d’Hildegarde ?
P. P. D. : Hildegarde est une mystique qui nous ramène à nos racines occidentales, à l’âge d’or de la chrétienté. Elle est profondément humaine : sa musique touche à ce qui est fondamental au cœur de chacun, pareillement son « prendre soin » de la personne tout entière. Ses écrits sont des révélations, pas des opinions : elle donne des certitudes qui ne sont pas des théories et qui touchent ce qui est essentiel : la vie, la mort, le salut éternel, et la beauté, la bonté, l’harmonie… Mais on ne peut pas la comprendre sans la foi, base de toute sa vie de moniale: c’est son intimité avec Dieu, par le Christ, qui lui donne sa liberté, sa vitalité, sa vérité.

CM : À votre avis, peut-elle un modèle pour les femmes d’aujourd’hui ? Et comment ?

P. P. D. : Elle n’est pas féministe, mais féminine. Elle ne revendique pas une parité, une égalité, ou une confusion des « genres ». Pour elle, plus la femme est femme, plus l’homme sera viril ! Il y a une complémentarité nécessaire entre les sexes. La femme éveille l’homme à sa masculinité, elle le soutient, lui permet de se découvrir. Hildegarde développe ses propres talents, mais sans rivalité : elle éduque les jeunes, les exerce à la musique, la danse, la médecine, les enluminures, l’art, les plantes, la psychologie… Elle les ouvre à la finesse, la délicatesse…  Elle ne revendique rien, elle prend sa place, tout simplement, par sa compétence et sa force de caractère au service de la vérité… sa vie en est la preuve .

À lire, à voir, à écouter :

*Pierre Dumoulin, Hildegarde de Bingen, Prophète et Docteur pour le troisième millénaire, Editions des Béatitudes, 306 pp., 18, 50€.

Régine Pernoud, Hildegarde de Bingen : Conscience inspirée du XIIè siècle, Éditions du Rocher, 1994.

Daniel Maurin, Les secrets de santé et bien-être de Sainte Hildegarde de Bingen, Collection Poches Jouvence, 160 pp., 7, 50€.

Oeuvres d’Hildegarde de Bingen :

Le livre des œuvres divines (1163-1174), trad. Bernard Gorceix, Paris : Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 1989, 380 pp.
Scivias : Sache les voies ou Livre des visions (1141-1151), traduit par Pierre Monat, Paris : Le Cerf, 1996, 729 pp.
Lettres (1146-1179), trad. Rebecca Lenoir, Jérôme Millon, 2007, 260 pp.

Discographie :

900 Years, anthologie des œuvres de H. von Bingen, CD audio édité par Deutsche Harmonia Mundi.

Colloque international Hildegarde de Bingen : 3 au 5 mai 2013 à Paray-le-Monial.
http://www.universitesaintehildegarde.org/

Son génie est de proposer une conception intégrale de la personne : « Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes ».

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