En 1775, Diderot écrit à propos de Jean-Baptiste Huet : « Savez-vous quel fut son maître ? Boucher. Ainsi, il prit pour modèle un peintre inimitable même dans ses défauts et qui n’a jamais rien produit que de mauvaises copies de lui-même. »
Le musée Cognacq-Jay, bravant la critique du penseur, ouvre la première exposition d’un artiste qui fut, peut-être, trop maladroitement jugé.
Peintre de l’Académie royale à l’époque où s’imposaient les grands tableaux de scènes historiques, Jean-Baptiste Huet, descendant d’une lignée d’artistes, inspiré par Boucher mais s’éloignant de Fragonard, va lentement s’aventurer dans les multiplicités de l’art.
L’exposition nous présente les dessins à la plume, les sanguines, la craie, l’encre, le pastel, les modèles de toiles de Jouy, les cartons de bergère ; l’huile est rare, car, ce qui occupe le labeur de ce curieux trouvère nécessite le trait fin, la juste mesure, et une rapidité dans la saisie de la nature.
Il serait fort impropre d’énumérer les peintres français qui convoitèrent amoureusement les apprêts de la nature, cherchant à dresser un décor pour les hommes, dans un paysage arrêté l’espace d’un instant.
Cependant, pensons à Poussin, pensons à Vouet. Et pensons aux Baigneuses de Fragonard qui s’apprêtent à embrasser la nature jusqu’à devenir membre de cette eau qui les purifie ; le mythe de Narcisse tente le XVIIIème siècle et l’artiste s’approchant de la Création succombe presque au désir de dispersion de l’homme dans le tout naturel.
C’est ici que J.-B. Huet invoque l’animal, les lierres, les orties dïoques, jouant sur les fantastiques arabesques que forment ces végétaux, accentuant les scènes de genre animales par des mouvements de contorsion, allant jusqu’à creuser l’émotion de l’animal.
Alors qu’un Buffon analysait l’animal, le découpant en tronçon, Huet s’oppose et accomplit son travail de peintre qui est de nommer l’animal en lui conférant la vie. Les chevaux, les lions, les chats, les basses-cours : l’ensemble rustique souvent assorti d’un vague arrière-plan, volontairement pauvre pour que les yeux et la tête se détachent et nous adressent le langage inexprimable des bêtes.
Dès lors, le peintre, prouvant son habileté, invitera l’homme et la femme à ce ballet bucolique, La Bouquetière et La Laitière aux joues rosies dont le sein pâle s’évade légèrement du corsage, ces porteuses de la nature illustrent la philosophie latente de Huet.
Lorsqu’on dit « le plaisir de la nature » on réduit ce peintre à un simple animalier ou botaniste, Huet est davantage penseur. Il pense les bergers dans un paysage nocturne, il arrache aux ténèbres ses personnages, et le lien perpétuel entre l’homme et la nature se cristallise jusque dans ses essais de scènes mythiques : Herminie écrit le nom de Tancrède sur un arbre comme si l’enraciné restait le dernier être à saisir cet amour.
L’intimité qui existe dans les œuvres de Huet entre le corps humain et le corps végétal ou animal permet au peintre de dépasser les « hypocrisies » que Diderot reprochait à Boucher, c’est-à-dire les maquillages, les poses, les faux-semblants.
Jusqu’au bout, Huet quête le sentiment vrai, l’émotion, jusqu’à Léda et le cygne, jusqu’à L’annonce aux bergers.
Il n’y a rien de décoratif dans les tableaux de Huet, appliquant tout son art aux toiles de Jouy, il a su séparer l’ouvrage artisanal de l’œuvre artistique et ainsi ne pas identifier l’homme à l’ensemble de la nature, mais bien à l’introduire, fragile dans ces lieux charmants, parfois sombres ; et le genre humain apparaît dans les œuvres d’Huet comme la dernière création qui viendrait couronner la terre et que le monde attendait.
Baudoin de Guillebon
Pratique :
Exposition Jean-Baptiste Huet. Le plaisir de la nature, jusqu’au 5 juin 2016.
Musée Cognacq-Jay : 8, Rue Elzévir – 75003 Paris
Ouvert tous les jours de 10h à 18h, fermé le lundi et les jours fériés
Accès : métro Saint-Paul, Rambuteau ou Chemin vert. Bus 29, 69, 76, 96
Tarifs : 6 euros, tarif réduit : 4.5 euros
Catalogue d’exposition Jean-Baptiste Huet. Le plaisir de la nature, édition Paris-Musées
Commissariat d’exposition : Benjamin Couilleaux, conservateur du patrimoine, musée Cognacq-Jay
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