Claude Rich, Jeanne Moreau, Max Gallo, Christian Millau, Gonzague Saint Bris, l’été a été ravageur. Nous avons choisi de rendre hommage à trois d’entre eux. Des écrivains anti conformistes qui s’étaient fait une certaine idée de la vie et de la littérature.
Christian Millau : un hussard sous le bottin
Depuis qu’il avait abandonné son métier de critique gastronomique, – lui l’inventeur de la formule en 1973 de « Nouvelle cuisine » avec son complice Henri Gault – Christian Millau (de son vrai nom Dubois-Millot), né à Paris en 1928, avait renoué avec la littérature, jouant de livre en livre à se construire une image de hussard, un tantinet rebelle, un tantinet réactionnaire, toujours avec une ironie joyeuse, poussant le romancier Christian Authier à le résumer ainsi : « À plus de 80 ans, l’insolence d’un galopin dont la fronde vise toujours juste. »
Et Claude Imbert, dans Le Point au sujet de son Journal d’un mauvais français (2012), n’avait pas hésité à trancher : « Contre l’emplâtre sartrien et la gamelle marxiste, voici la svelte élégance de la pensée française ». Il avait même reçu le prix du livre incorrect pour son Journal impoli 2011-1928 paru en 2011. Bernard Pivot aura ces mots : « Il est de ces hommes qui avec l’âge se moquent du qu’en dira-t-on, des discours convenus et qui lâchent leur vérité avec une franchise jubilatoire. » Et je ne sais plus qui, voyait en lui « un Français qui refuse de marcher au clairon du prêt à penser ».
D’une certaine manière, Christian Millau était le plus jeune des pamphlétaires et des diaristes de son époque. Il en avait remis une bonne couche avec son délectable Dictionnaire d’un peu tout et n’importe quoi (Le Rocher, 2013), dans lequel il passait en revue à travers un abécédaire iconoclaste ce qui l’enchantait, l’agaçait, le révoltait, voulant à sa façon si particulière se mêler de tout avec une liberté de ton sans tabou. À « Bonheur », il associait la définition d’Antonio Gramsci : « Le bonheur, c’est d’allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ». À « Communisme », il s’enflammait : « Système généreux qui consiste à enrichir la société en l’appauvrissant et à rendre l’homme plus libre en l’enfermant ».
À « Monarchie », le voilà citant le général de Gaulle en 1946 : « Ce qu’il faudrait à la France, c’est un roi. Un grand type qu’on sort comme cela dans les moments difficiles. » À « Saisons », il jubilait : « J’aime l’automne, parce que l’été vint de fermer sa grande gueule. J’aime le printemps, parce que c’est l’hiver qui perd la tête ». Et à « Thé de Chine », il rapportait sa visite dans les années 1960 chez Mme Leroux directrice d’une boutique de thé rue de Surène, à Paris, « Kitaï » : « Lorsqu’un inculte s’aventurait à lui demander : « Lait ou citron ? », elle s ‘effondrait en soupirant : « Mon Dieu, Mon Dieu… Dans une tasse de thé de Chine, on met du thé, un point c’est tout. » Sinon, Millau rend hommage à Nimier : « Ange de l’amitié, prince de l’impertinence qui flirtait avec la vie », mais aussi à Giono, rapportant cette réflexion qu’il lui fit en 1955 : « Dans mon pays on est jeune jusqu’à quatre-vingt-douze ans. Après on commence à se vieillir. ». Mais s’il y a bien une personnalité publique qui inspirait le mépris à Christian Millau, c’est bien le duc de Windsor : « Douze balles dans la peau, au pied de la tour de Londres… » ; il y racontait sa compromission avec le régime hitlérien, avant d’ajouter, in fine : « Encore une chance qu’on l’ait forcé à abdiquer. Sinon on peut tout imaginer : pas de bataille d’Angleterre, mais un souverain fantoche sous la coupe des nazis… ».
Christian Millau était aussi une voix, chaude et rassurante que l’on entendait dans les années 1980 sur les ondes d’Europe 1 le samedi matin, quand il chroniquait les bons restaurants qu’il avait dégustés… Belle époque des grandes voix comme celle d’André Arnaud, Frédéric Pottecher, Jean-Michel Desjeunes. Christian Millau était un dandy qui savait vivre, penser et écrire. Le dernier d’une génération perdue.
A suivre : Gonzague Saint-Bris
Poster un Commentaire