Quand Jules Magret se régale le carter

/Alphone Boudard, Albert Simonin, Frédéric Dard ou Auguste le Breton s’en seraient régalés.  Voici un guide gastronomique bien franchouille qui devrait ravir les gourmands qui n’aiment pas que les critiques fassent dans la dentelle. Attention, ça décoiffe !

Ce manuel est à ne pas mettre entre toutes les mains. On est loin du Guide Michelin avec ses propos laconiques et bien proprets, embourbé dans ses étoiles et ses Bib gourmands décernés par des anonymes. Avec ce guide, rédibitoirement personnel – Touchez pas au frichiti – , égotiste à souhait, on atteint des sommets dans le saignant, le coriace, le cocace  car rédigé dans un argot de comptoir. Il faudrait pour bien le déchiffrer s’aider su Dictionnaire de l’argot et du français populaire (Larousse) de Jean-Paul Colin. Car le lecteur reçoit en pleine poire ces critiques de restaurant qui ne sont pas piquées des hannetons. À croire que Jules Magret, initié à l’argot par son père dès l’âge de treize ans, au palais juste et au coup de fourchette saillant, ne s’embarrasse jamais de la langue de bois.

Il pinaille, fouraille, scrute, cultive la mauvaise foi, toujours avec esprit, cherche la petite bête et nous assène des vérités que l’on croit tout droit sorti d’un film de Michel Audiard ou de Jacques Deray, avec Bernard Blier ou Michel Constantin comme voisins de table.

Le voilà qui passe, en revue département par département, ville après ville, les guinguettes, bistrots et autres caboulots de grande ou petite réputation, sans jamais prendre de pincettes. Cela lui arrive de se pâmer, d’atteindre une certaine extase devant des langoustines snackées à point ou des ravioles de pieds de porc. Jules Magret titille la métaphore et le voilà parfois en train d’évoquer « le flagolet philosophique », « l’asperge métaphysique » ou « le feuilleté de chèvre au poil ».

Mais le critique a des coups de nostalgie, notamment quand il atterrit à Belle-île, regrettant au Castel Clara le temps où Jean-François Josselin s’envoyait des canons au  bord de la piscine, dénonçant une cuisine chichiteuse où la « bectance à tous les coins de poutre ». Et bien trop cuite. Chez la Mère Brazier le voilà qui râle car « c’est bas de plafond, on se bigorne la terrine », mais faisant l ‘éloge du ris de veau au homard et de la quenelle de brochet « au lissé de cul de jeune fille ». Ce qu’il préfère : filer à une heure de Paris à Joigny à La Côte Saint-Jacques pour déguster les petits-gris de Jean-Michel Lorrain préparés « comme des bonbons de notre enfance » et « l’aile de raie comme un bouillon épicé au lait de coco et cumbawa. »

Reste que Jules Magret est un indécrottable germanopratin. Il n’aime rien que de passer un moment sensas chez Allard, cette auberge reprise par l’équipe de Ducasse, pas donnée tout de même : « c’est la bonne franquette, on tape dans le Gigondas, par ici le jambon persillé, le jésus sans la crèche, le perdreau au chou et le canard sauvage. » Que dire de Saint-Germain-des-Prés, ce « quartier d’iguanes » ? Écoutez le julot : « entre cougars et trouducs, c’est le bonheur comme avant. »

Puisqu’on vous dit que cette collation décape fort et n’y va pas par le dos de la cuiller. Stylé en somme, dans son genre.

* Touchez pas au frichti, 220 restos au banc d’essai (Province, Paris et banlieue), de Jules Magret. Préface de François Cérésa. L’Archipel, 155 pages15 €.

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