A nos chers disparus de l’été 3 : Gonzague Saint Bris

Nos chers disparus de l’été, l’hommage de CultureMag 3 :
Gonzague Saint-Bris

Claude Rich, Jeanne Moreau, Max Gallo, Christian Millau, Gonzague Saint Bris, l’été a été ravageur. Nous avons choisi de rendre hommage à trois d’entre eux. Des écrivains anti conformistes qui s’étaient fait une certaine idée de la vie et de la littérature.

Gonzague saint Bris : un goût de romantisme fraternel

/   Gonzague Saint Bris a sans doute rêvé, secrètement, d’une mort à la Nimier ou à la Camus, au bord d’une route, un soir sans lune. Il faudrait ajouter le nom de Jean-René Huguenin, cet autre mousquetaire qu’il aurait aimé connaître, l’auteur de La Côte sauvage, qui lui aussi se tua, mais trop jeune, dans un accident de voiture, l’empêchant d’accomplir son œuvre. Il faudrait parler de la fraternité de ces écrivains, accidentés involontaires qui vivent à 200 à l’heure dans la vie et qui brutalement achèvent leur destinée sur terre en laissant leurs lecteurs comme des orphelins hébétés. Gonzague Saint Bris aurait pu prendre à son compte cette sentence d’Huguenin, consignée dans son Journal : « Ceux qui sont pour la vie acceptent aussi de devoir mourir.

Ceux que la pensée de la mort horrifie, révolte, refusent la vie. Qui aime la vie aime la mort. » D’ailleurs, il suffit de lire les recueils de chroniques de Gonzague Saint Bris, Le Romantisme absolu (Albin Michel, 1978) ou La Nostalgie camarades ! (Albin Michel, 1982), pour mieux appréhender la vision romantique teintée de catholicisme à la Chateaubriand dont il était habité. Il se rêvait aventurier de l’esprit, conquérant de l’impossible et dans sa passion pour la Renaissance, courant politique et culturel auquel il s’était frotté dès l’enfance dans le manoir familial du Clos Lucé, surnageait le désir de tout embrasser comme pour mieux appréhender le monde dans ce qu’il a de meilleur. Pari un feu démesuré qui le faisait passer soit pour un esthète, soit pour un narcissique, soit pour un être fantasque.

Pour lui, le passé et le présent ne faisaient qu’un. Il avait soif de reconnaissance lui qui avait écrit, en pensant à Léonard de Vinci et François 1er : « La Renaissance, c’est cela : cette égalité acquise par les grands artistes avec les maîtres du monde. »  Né à Loches en 1948, ville natale d’Alfred de Vigny, poète qu’il apprit à admirer et à qui il consacra une biographie, il était fier d’être le fils d’Agnès Mame, elle-même issue d’une lignée d’éditeurs qui avaient publié Honoré de Balzac, au cœur de cette Touraine qu’il aimait par dessus tout, ce faisant au fil des décennies un de ses ambassadeurs les plus inspirés. « Je suis un Tourangeau pur rillettes » clamait-il avec cette ironie joyeuse qui l’habitait. Cela ne l’empêcha pas d’être un amoureux de la Vendée de Julien Gracq qu’il admirait, ou de la Normandie de Marcel Proust, allant jusqu’à créer le Festival du film romantique à Cabourg.

   Passionné par la presse, il avait compris que les journaux étaient depuis Théophraste Renaudot un tremplin essentiel pour témoigner, enquêter, parler du présent comme on raconte des histoires, avec style et élégance. Très vite, il devînt ainsi chroniqueur, au Figaro, à France Soir, à Elle, au Monde ou au Quotidien de Paris. Il renouait ainsi avec la tradition des  écrivains, collaborateurs de quotidiens et d’hebdomadaires. N’avait-il pas été patron du magazine Femme et rédacteur en chef de Spectacle du monde ?

  Qu’on me permette de dire ici comment je l’ai connu. Séduit par son « nouveau romantisme » qui tranchait à l’époque avec la morosité ambiante, et son émission fraternelle – véritable « journal de l’âme » -, appelée « Ligne ouverte » sur Europe 1, dans laquelle il confessait, dès minuit, par la voie des ondes des inconnus qu’il mettait au même niveau que des personnalités connues –-, je lui écrivis pour le rencontrer. Il me reçut chez lui dans son appartement de la rue François 1er (encore la Renaissance !). Commença alors une amitié qui nous lia de façon indéfectible. À tel point qu’il me proposa d’écrire un essai sur le courant romantique qui traversait l’Europe et dont il voulait être le porte parole en France.
Je m’attelais à la tâche avec Alain-louis Sire et en 1980, nous publiâmes La Bataille romantique  aux Nouvelles éditions Oswald, qu’il préfaça. Entre temps, Gonzague Saint Bris anima une nouvelle émission, « Longue distance », dans laquelle il se délectait en invitant à son micro des talents très différents, parfois opposés, animé par un seul but : montrer la diversité et la richesse d’êtres aussi différents que Guy Hocquengheim et Philippe de Saint Robert, Robert Sabatier et Vladimir Volkoff, Michel Sardou et Hugues Aufray, Michel Le Bris et Jean-Marie Benoist, Jean-Claude Guilbert ou bric Lalonde.

Et en 1981, dès la libération des ondes, à la veille de la création de sa propre radio, « Radio Mégalo », il me demanda de faire parti de l’aventure et d’animer une émission littéraire quotidienne, puis hebdomadaire. Nous étions alors les pionniers de cette grande exploration de la bande FM au même titre que toutes ces nouvelles « radios libres », que nous voulions libératrices pour la parole et la musique. Ce fut des moments exceptionnels, et je mesurais alors cette chance de pouvoir associer ma passion de la radio à celle de la littérature. D’ailleurs, un an plus tard, je créais le Prix littéraire des radios libres…

   Fondateur de la Forêt des livres à Chanceaux-près-Loches, ce « Woodstock des écrivains », Gonzague Saint Bris devait inaugurer la 22e édition en compagnie de Françoise Chandernagor qu’il avait choisie comme présidente cette année.

Gageons qu’un bel hommage polyphonique lui sera rendu par le monde littéraire qui lui doit tant. « Lors de mes vagabondages dans les verdures éternelles, écrivait-il, j’avais l’impression de lire l’univers et la forêt était pour moi la plus belles des bibliothèques ».

 

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