Ginger Rogers selon Frédéric Vitoux : souvenirs, souvenirs

L’amour de Frédéric Vitoux pour les chats est connu et nous a valu de superbes ouvrages, de son Dictionnaire amoureux à Bébert ou le chat de Céline, un félin ayant osé défier les archontes du Troisième Reich. Cette passion, partagée par les plus grands,  lui a visiblement suggéré de vivre neuf vies en une, sage précaution qu’il faut encourager, la procrastination d’une existence à l’autre présentant des risques certains. Comme jamais, et je l’en félicite, Frédéric Vitoux tombe le masque dans Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers, se dévoile, avec courage et lucidité, dans le style flamboyant qui lui est naturel comme le miaulement aux chatons.

Certes, vous ne le découvrirez ni Angora, Persan ou Ragamuffin, parfois Chartreux cependant, quelquefois Siamois ou Sphynx, même s’il ne sera pas question ici de pelages mais bien d’une peau mise à nue de noble manière, par de joyeux coups de griffes portés dans la tapisserie des souvenirs. Voilà, tout d’abord, le mélomane qui s’avance, des 78 tours de sa jeunesse à sa passion pour Rossini, Beethoven (l’Opus III) et tant d’autres, bientôt suivi par le cinéphile à connaissance encyclopédique (à ébahir Jean Tulard en personne et à laisser sans voix, saluons l’exploit, son Confrère Lambron), Votre dévoué Blake scellant la complicité père-fils dans ce qui demeure les plus belles pages du livre.

Le sportif vous surprend d’un cadrage-débordement avant de toucher juste à la fin de l’ envoi. L’amateur d’art n’est jamais loin, sauf à fréquenter à reculons certaines expositions qui s’offrent à lui à bras ouverts. Le gourmet s’annonce alors mais évitez, je vous prie, de lui proposer des pommes-mousseline, l’amour des mots prenant désormais le pas sur celui des mets.

L’écrivain passe maintenant la tête alors que pétillent les bulles d’air animant tout romancier ; que surgit l’indépendance née des premiers livres, de L’attrape-cœur au Grand combat du XV de France du regretté Denis Lalanne, quand les mots prennent un pouvoir aussi sévère que celui imposé par la Junte des Philippines. Passant à travers le chas d’une aiguille, il s’efface pourtant avec élégance lorsqu’il évoque Nicole, son épouse, « la chance de (sa) vie », leur première escapade irlandaise, au pays de Joyce, héros des garçonnets empruntés d’Eccles Street.

Cet amour forcément immortel (qu’attendre d’autre d’un académicien ?) survit aux miettes de pain malheureusement collées sur les lèvres et, puissant et fidèle, s’étend à celui qu’il porte à ses parents, et j’aime par-dessus tout, persistant et signant,  les phrases rappelant son père, victime d’une épuration parfois aveugle. Bon fils, excellent époux, l’ami fidèle ne se cache pas loin, qu’importe si son ami d’enfance achète Paris Match en double exemplaire pour ne pas en retarder la lecture, et complète ainsi neuf vies qui valent plusieurs passages sur notre bonne planète.

Ce livre à multi-facettes, à l’image de son auteur, glorifiant la vie, l’amitié et l’amour, m’a séduit, ravi, conquis et, je l’avoue bien volontiers, de fil en aiguille et de madeleines en bas de laine,  longtemps encore, je donnerai raison à Frédéric Vitoux.

François Jonquères

Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers, de Frédéric Vitoux, aux éditions Grasset

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