Une joyeuse cavalcade

Si le prix des Hussards couronna l’excellent Demi-siècle de Christian Authier (Flammarion), après une lutte aussi épique qu’indécise avec la remarquable Poursuite de l’idéal de Patrice Jean (Gallimard), un écrivain que les sommets appellent – rendons ici un hommage appuyé à Jean-Pierre Montal -, il fut aussi, fidèle à ses bonnes habitudes, l’occasion de découvrir de vraies perles de culture, de délicieuses histoires taillées à la mesure de nos plaisirs de lecture, qui feront de gais compagnons pour les longues soirées d’hiver.

Pêle-mêle, dans un ordre qui appelle au désordre et à toutes les désobéissances, sont cités à l’ordre du régiment :

Le Fils du professeur (La Manufacture de livres), de Luc Chomarat, mon coup de cœur de l’été pour m’avoir fait cheminer à hauteur d’enfant aux temps glorieux où l’ASSE (Saint-Etienne) marchait presque sur le toit de l’Europe, où les garçons n’échappaient pas à l’option football, bien plus essentielle que le grec ou le latin (il est recommandé à une tête bien faite de s’essayer aux trois !), rêvant plutôt de devenir Piazza ou Rocheteau qu’être Chateaubriand ou rien. Vous me direz que tous ont fini en vert, malgré tout. Et puis, seul un enfant peut encore se risquer à faire l’éloge de Franco pour avoir été un des premiers à introduire le bikini sur les plages espagnoles !

Bien sûr que si (Les éditions de Paris), de François Kasbi, suit de près, même s’il a contre lui une publication trop lointaine, comme si 2020 était déjà passée de mode. Cette histoire d’un homme qui se sépare d’une femme pour lui consacrer un livre – et quel livre ! – est touchante à maints égards. Les citations y sont maniées, nous savons pourtant l’exercice aussi périlleux que redoutable, avec légèreté et grâce, sans doute faut-il en remercier Lawrence Durrell puisque son Quatuor d’Alexandrie est le roman (d’amour) préféré de l’auteur. Encore une preuve qu’il est compliqué d’être un adolescent à cinquante ans, j’en sais quelque chose. Heureusement les phrases nous guident, que demander de plus ?

 

Dans un style plus acide

, un poil odorant, narines sensibles s’abstenir, La Marge d’erreur (Au diable vauvert), de Nicolas Rey, s’invite dans la danse. Le sujet abordé est grave, un malade en fin de vie, et n’est pas sans rappeler le thème des Héroïques (Grasset), de Paulina Dalmayer, dont la lecture est recommandée aux amoureux de la Pologne des années cinquante et soixante, ainsi qu’à ceux qui ignorent la façon privilégiée par Mick Jagger pour dévorer une barre chocolatée Mars. La Marge d’erreur n’est pas en reste et contient ses propres joyeusetés : une application pour distinguer les bons des méchants ; un éloge mathématique du repos (« Newton et Descartes ont eu leurs plus grandes révélations alors qu’ils étaient assis à ne rien faire » !) ou des phrases bien senties qui vous revigorent un lecteur : « un journal a le droit et même le devoir de choquerQue cette liberté est fondamentale ! » Ouf, voilà qui est aussi frais que l’air de la Campagne (Albin Michel), que Matthieu Falcone souffle à pleins poumons dans son dernier livre. Lui, je l’ai à l’œil. Son bon Samaritain (Gallimard) avait tout d’un grand. Sans doute conviendra-t-il de le déglacer un chouïa mais le jus est bien là, s’il n’égale encore Giono ou Marcel Aymé dans leurs œuvres bucoliques. C’est que « la solitude des campagnes, fieu, il faut se la fader ». Vivement le troisième, camarade !

De l’herbe verte aux grains de sable du dessert, il n’y a, parfois, que quelques pas. Je vous invite à les faire pour découvrir deux romans gorgés de soleil et de sève. Le premier, Badroulboudour (Aux Forges de Vulcain), de Jean-Baptiste de Froment, est une fable humaniste qui se lit comme on avale un vin de qualité pour lancer sa soirée. L’amour du prochain ou, saluons Zarathoustra et Nietzsche, « du plus lointain » en forme le cœur. Je veux croire que les aventures d’Antoine Galland, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, dans son club de vacances, à la poursuite de la femme idéale, sauront vous guider loin des soucis du quotidien. Les Mille-et-une-nuits, c’est quand même mieux qu’un congé paternité ou une année sabbatique !

Dans un autre genre, L’homme qui riait sous les bombes (Le Rocher), de Benoît Christal, nous plonge dans un récit haletant à la suite d’un grand reporter parti à la recherche d’un mystérieux fichier. L’actualité y est omniprésente, on y évoque ainsi l’abominable attentat du Bataclan, mais aussi la guerre en Irak, entre Mossoul et Raqqa, là où une mine peut à tout instant briser une vie. Ce témoignage de première main (ne devrait-on pas dire de « premier œil » ?) sent le sable chaud, transpire l’histoire et l’aventure. Les amateurs seront ravis. On y apprend ainsi que « l’humiliation suprême pour un djihadiste consiste à finir entre les mains de femmes combattantes ». Quelqu’un devrait leur apprendre que les soixante-douze houris, promues vierges sur canapé, sont toutes sorties de l’école des commandos de Mont-Louis, quand elles n’ont pas validé leur formation parachutiste avec la Légion étrangère. Cela calmerait des ardeurs coupables. Plus sérieusement, puisqu’on rit ici sous les bombes, le livre de Benoît Christal constitue une ode à l’amitié, comme il est rare d’en trouver.

Amour, amitié et autres tracasseries, l’hiver s’annonce pétillant !

 

François Jonquères

 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.