Les mauvaises fréquentations

Le rapport Harris (1) commandé par le ministère de la Culture vient de produire son petit effet. La ministre veut connaître l’impact de la crise sanitaire sur les pratiques culturelles, pour valider ou corriger sa politique d’aide à la création ; jusqu’ici tout va bien. Mais voilà que sort le chiffre : 4 Français sur 10 déclarent avoir repris leurs habitudes de sortie dès la réouverture des lieux culturels… Attention « aux chiffres qui ne mentent pas », tout est dans la présentation des statistiques ; ainsi selon le ministère « le premier enseignement de cette enquête, c’est l’attachement des Français aux sorties culturelles » (sic) !

Sans surprise, plus de la moitié des interrogés disent craindre les lieux très fréquentés et une possible contagion : le risque d’une moindre fréquentation est donc plus important pour les spectacles vivants. Parmi les Français qui se rendaient régulièrement au cinéma, 51% y sont retournés mais seulement 40% des visiteurs de musées et d’expositions.

Plus embêtant pour le gouvernement : l’impact du pass sanitaire. A la question « vous n’avez pas de pass sanitaire et vous ne voulez pas faire un test antigénique avant d’aller au cinéma/au théâtre/au musée… », 14% ont répondu « oui tout à fait », et 11% « oui plutôt », soit en tout 25% des répondants. Le rapport détecte même 11% qui « iront dans les lieux culturels moins souvent qu’avant, lorsque la pandémie sera finie, ce qui peut sembler à la fois inquiétant et très minoritaire. »
Belle gymnastique du « en même temps » car si c’est très minoritaire, pourquoi s’inquiéter ? Ces récalcitrants basculent vers les moyens numériques, en particulier les moins de 35 ans ; pour un « tiers des 18-24 ans d’autres activités de loisir ont remplacé les sorties culturelles » (contre 20% tous âges confondus). Voilà qui, dit en passant, a le mérite de la clarté : la sortie culturelle est un loisir comme un autre, Léonard (da Vinci) ou Lionel (Messi) même combat !

Ces chiffres cachent de plus mauvaises fréquentations. Histoire vécue : lors des vacances de la Toussaint, vous allez exprès en Avignon voir le musée (municipal) réputé la plus belle collection française de Primitifs italiens ; la ville est placardée d’affiches « musées gratuits ». Merveilleux, à vous les couleurs délicates, cette « naïveté » typique des pré-renaissants qui sont à la peinture européenne ce que les artistes Premiers sont à l’art aborigène : un bain de jouvence.
D’accord, le musée est souvent fermé aux deux tiers mais là : sur 19 salles, une demie ouverte avec un quart dédié à une école d’art (contemporaine) d’Avignon qui met en espace un tableau d’autel ; plus loin les morceaux d’une œuvre d’un flamand oublié …bref, des miettes, vous restez sur votre faim : « c’est gratuit mais fermé », pas assez de gardiens, la fréquentation post-covid va encore fléchir !

-Mais Madame, allez donc voir la magnifique collection Lambert …d’Art contemporain !

-Justement, je viens ici pour voir autre chose… qu’on ne voit pas ailleurs !

La Collection Lambert met à l’honneur des artistes d’AC très en vue dans l’expo « How to Disappear « soit « Comment disparaître » ( je n’invente rien) !

-Euh, au Palais des Papes vous avez…un artiste contemporain… chinois !

Yan Pei-Ming ? Mais on le voit PARTOUT (2) ! Bon, allons, c’est un peintre … à la facture sans surprise : toujours en noir et blanc ou monochrome, de quoi regretter les subtilités d’émail de la palette des Primitifs. Damnation, notre franco-chinois se pique de « confrontation » avec la thématique religieuse (sous clé, rappelons-le) et brosse un gigantesque triptyque : le pape (lequel ? mon voisin lui trouve un air de fille, vous me direz c’est tendance)… entre deux saints ? Mais non, entre deux autoportraits de Yan Pei-Ming, en personne, le poulain de la méga galerie Thaddaéus Ropac s’auto-canonise dare-dare ! Le « clou » étant un gigantesque crucifix qui fleure bon l’art Pompier XIXème mais Bonnat faisait tellement mieux !

A l’heure où M. Macron rend des chefs d’œuvre au Bénin et puisque l’Afrique est respectueuse, elle, du passé (« un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brule »aurait dit Amadou Hampâté Bâ) pourquoi ne pas restituer aussi la collection d’Avignon ? L’art est universel et doit aller à ceux qui savent l’aimer, l’entretenir et l’exposer. Faudra-t-il délocaliser nos Primitifs à Bamako, Bangui ou Abidjan, pour que nos administrations culturelles les prennent enfin au sérieux ?

Christine Sourgins

(1) Enquête réalisée en ligne du 31 août au 3 septembre 2021 .Échantillon de 3 025 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus. Méthode des quotas.

(2) Yan Pei-Ming aussi promu par la Fondation (privée) Yvon Lambert : l’art de l’omniprésence …

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