Dans L’Ours et le Philosophe (Grasset), Frédéric Vitoux s’attaque, avec verve et malice, à l’amitié sans retour qui lia le sculpteur Falconet au Maitre de l’Encyclopédie, Denis Diderot. Son ouvrage est dédié « à la mémoire des ours que j’ai aimés », nous voilà déjà conquis.
Des ours, comme des philosophes, il y en a presque autant que de propositions sociétales farfelues de nos jours. Du polaire au pyrénéen, brun de poil et d’humeur chafouine, en passant par le photogénique Kodiak, jusqu’au modèle en peluche, compagnon des nuits de notre enfance.
De même, de Kant à Descartes, de Spinoza à Nietzche, pour se figer, en désespoir de cause, sur BHL. C’est son côté ronchon-grognon qui vaut à Falconet son incorporation d’office dans la brigade des Ours, sans que cela n’affecte d’ailleurs la décision de la Grande Catherine, suivant en cela les chaudes recommandations de Diderot, de lui confier la réalisation de la statue équestre de Pierre le Grand. Un Ours à Saint-Pétersbourg, Léningrad plantigrade !
Cette communion entre deux caractères bien trempés, la plume étant plus délicate que le burin ou la masse (même si celle-ci ne tolèrera pas la porte fermée à son nez, le 8 octobre 1773), débouche sur une dispute, au sens premier du terme, à propos de postérité, ce rêve fou qui ne se matérialise que dans la nuit du tombeau.
Le misanthrope Falconet la moque, la dédaigne quand Diderot, encore envahi des manuscrits de ses plus belles œuvres, place en elle tous ses espoirs, Le pittoresque de leurs échanges, où revit l’aventure de l’Encyclopédie, époque glorieuse qui voyait l’Esprit français s’exporter aux quatre coins du globe est savamment égayé par Frédéric Vitoux qui multiplie les clins d’œil, les digressions savantes ou plus intimes (Nicole forever), prétexte à redécouvrir les mystères de l’Ile Saint-Louis (laquelle, faut-il s’en étonner, abrita Ours et Philosophe), à évoquer d’autres compagnons des grottes et cavernes, Bernard Frank ou Serge Rezvani, mêlant ainsi passé et présent pour mieux les réconcilier.
Foreman et Mohamed Ali échangent des coups légendaires à Kinshasa tandis que Tom poursuit Jerry pour l’éternité. Henri de Latouche passe alors une tête au milieu d’échanges épistolaires de très haute volée. Céline revient de Leningrad, en 1936, râlant et pestant, Giono travaille à Noé, à la suite d’ Un Roi sans divertissement.
En puisant dans son savoir encyclopédique, Vitoux sculpte une nouvelle œuvre qui fera date. Sa postérité est assurée.
François Jonquères
L’Ours et le Philosophe (Grasset), Frédéric Vitoux
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