40 ans après

À l’heure de l’uniforme et de l’indistinct, un regard en direction de propositions singulières s’impose.
Sans nostalgie balourde ou passéisme, plonger 40 ans après vers l’année 1971, et célébrer son incroyable richesse créative à travers quelques exemples significatifs.

L’actualité, mouvement dialectique et incessant, autorise peu la prise de recul. La réflexion, fruit du temps et de distance, peine à se déployer face à une production en perpétuelle oscillation. Elle glisse, trébuche devant les précipices offerts par la condition moderne.

Ce  vacarme ambiant, si souvent dérisoire, frêle masque de la vacuité érigée en valeur-refuge, ne doit pourtant tromper personne. La musicalité factice de l’industrie, le spectaculaire ostentatoire des studios, les mots chétifs d’apprentis écrivains: rien de tout cela ne saurait perdurer.

Une œuvre pérenne brise la frontière des âges par sa capacité à renouveler les regards qui s’y posent. À chaque vision, a chaque écoute, elle se teinte de saveurs inédites. Elle ne distille jamais les mêmes fragrances, et par-dessus-tout, elle interroge. Elle questionne sans cesse les récepteurs, désireuse de ne pas donner de réponses. Mystérieuse et enivrante, elle échappe aux normes, bafoue les codes et balaie les présupposés.

/Histoire de Melody Nelson

Façonné et enregistré avec la collaboration de Jean-Claude Vannier, le premier concept-album de Serge Gainsbourg paraît en mars 1971.
Récit sur 7 pistes d’une relation amoureuse sensuelle et délicate, l’opus oscille entre éclats de rire, jeux érotiques et dérives mélancoliques. Melody Nelson, nouvelle muse fantasmée du poète, prend forme et vie, animée par sa voix posée et suave.

Ses mots, couplés aux arrangements musicaux efficaces donnent à l’ensemble une teneur inédite dans l’œuvre de l’auteur. Une profondeur romanesque en somme, où chaque ligne ne lasse pas d’être dégustée.

/Sticky Fingers

Un mois plus tard, c’est au tour des Rolling Stones de publier leur nouvel album. Et dès son titre évocateur (Sticky Fingers : « doigts gluants ») et sa pochette provocante (l’entrejambe d’un homme, braguette bien évidence, le tout signé par Andy Warhol), le ton est donné.
Le riff inaugural de Brown Sugar ne fait que confirmer la tendance. Le groupe, abreuvé au sein nourricier des musiques soul et blues, opère un voyage poisseux aux confins de leurs racines sonores.

Les dix titres coulent sans temps mort, laissant dans la bouche des curieux et des initiés, la trace indélébile d’un moment exceptionnel de rock and roll.

/
Who’s Next

Après l’ambitieux Tommy, le guitariste des Who, Pete Townshend, souhaitait composer un nouvel opéra-rock, en poussant plus loin les expérimentations.
Jamais ce projet ne vit le jour. À la place, Who’s Next sortit à la fin de l’été, engeance superbe d‘un groupe pourtant en proie aux incertitudes.

Haletants, illuminés, vigoureux, les 9 morceaux de l’album rivalisent de puissance et d‘intelligence, produits remarquables de créateurs au faîte de leur inventivité.

/Led Zep IV

Le quatrième album studio de Led Zeppelin, sorti en novembre 1971, achève l’année en beauté.
Le groupe y délivre quelques unes de ses compositions majeures (Stairway To Heaven, Black Dog, Rock and Roll…), baigné dans une atmosphère teintée d’ésotérisme et de quête spirituelle.

Épopée incontournable de l’histoire du rock, l’opus, 40 ans après, n’a rien perdu de sa fougue et de sa vitalité. Au contraire.

Bien sûr, les exemples retenus n’épuisent pas en totalité la production de l’année 1971. Ils en donnent la teneur, en esquissent les vertiges. Comme autant de lumières palpables, ils brillent encore de tout leur éclat, preuves éloquentes que les œuvres de qualité ne s’éteignent pas. Même 40 ans après!

Guillaume Blacherois

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