Woody Allen par Robert B.Weide

/Un documentaire classique sur un artiste peu conventionnel : Woody Allen par Robert B.Weide.

« Le seul obstacle entre la grandeur et moi, c’est moi. » Woody Allen, en bon artisan de la formule, ne masque pas ses échecs, ne se défausse pas. Malgré la longévité, les récompenses, les admirateurs, les tapis rouges, il reste amusé, distant, certes reconnaissant mais avant tout lucide.
Calmement, il revient sur ses débuts à l’âge de 16 ans, lui le jeune Allan Königsberg, cancre parfait, adoptant Woody Allen comme nom de plume. Puis sur ses premières scènes, le trac, l’angoisse, les publics hermétiques, et les sourires naissants, la fortune palpable, les plateaux télé, le cinéma en 1965 avec Quoi de neuf Pussycat?, dont il rédige le script, et dans lequel il joue un petit rôle.

De cette expérience cinématographique originelle douloureuse, entachée par l’omniprésence et le vampirisme des studios, il en ressort avec la volonté de s’extraire du contrôle des grandes firmes. 3 ans plus tard, il concrétise son souhait de liberté, avec Prends l’oseille et tire-toi, premier film entièrement réalisé en totale autonomie. Une indépendance jamais démentie depuis.

Pendant plusieurs années, sans doute poussé par le succès de cette comédie, sa production demeure calquée sur un modèle burlesque assez uniforme, tissé de gags et d’effets de manche soulignés, inventifs pour la plupart, mais parfois, de son propre aveu, « ne volant pas très haut ».
Toutefois, avec Annie Hall en 1977, les choses changent. Son cinéma se mue, devient plus adulte, moins comprimé par le désir obsessionnel de l’hilarité, et définitivement hanté par la présence des femmes (matérialisée à l’époque par Diane Keaton, puis par Mia Farrow ou encore par Scarlett Johansson plus récemment) et par des interrogations existentielles majeures (sa judéité, la vie après la mort, le sens de la vie…).
Auréolé de quatre Oscars (il ne se rend pas à la cérémonie, préférant jouer de la clarinette avec son groupe de jazz), Annie Hall est un film-tournant. Un film-glissade. Intérieurs, le suivant sorti en 1978, s’il prolonge les nouvelles orientations du cinéaste personne n’adhère. Le film est un échec cuisant.
En 1979, Manhattan masque ce creux de vague. Tourné en noir et blanc, cette romance new-yorkaise sensible remporte tous les suffrages. Sauf un seul: le sien. Paradoxalement, tandis que les foules crient au génie, Woody Allen se lamente, considère le film raté, et demande même au studio de le laisser travailler gratuitement.
Le décalage semble abyssal. Idem pour son film suivant Stardust Memories, sorte de questionnement aux accents felliniens sur la célébrité. Il le juge réussi, la critique et le public le fustigent.

Et l’histoire se répète inlassablement. 30 ans plus tard, les applaudissements nourris à Cannes lors de la projection de Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu lui laissent une impression « d’ovation simulée ». Et le triomphe commercial de son dernier opus, Minuit à Paris, ne semble pas l’émouvoir outre mesure.

Alors l’incertitude plane. Fausse modestie? Ou insatisfaction chronique? Heureusement, le documentaire de Robert B.Weide n‘avance aucune hypothèse. Il se contente plus de retracer un itinéraire, le parcours d’un artiste atypique, tout en pointant du doigt le décalage béant entre les bouches zélatrices (acteurs, producteurs, critiques) et son regard tempéré. D’où l’étonnement, et une certaine admiration, pour ce créateur à la fois clown et tragédien, heureux de pouvoir continuer à faire du cinéma, et malgré tout impatient d’achever vite une journée de tournage pour savourer un match de sport devant sa télévision.

Guillaume Blacherois

Woody Allen; a documentary, de Robert B.Weide.
Sortie nationale le 30 mai 2012.

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