Auprès de mon arbre…des Bernardins à Neuilly

Par Christine Sourgins*

/L’arbre est tendance : deux grandes expos parisiennes (dont une à Neuilly)  s’y consacrent. Voyons la première pour commencer…
Les Bernardins  affichent, jusqu’au 28 Juillet, un « arbre de vie », fidèle à leur option AC.
Mais aux habituelles versions AC/ tendance ascétique et désincarnée, succède cette fois une veine ludico-écolo-environnementale.

En vedette, Michel Blazy qui plante des balais de sorgho dans des pots en terre. Que croyez-vous qu’il arriva ? La végétation repousse…Si !

Voilà qui amusera l’enfant qui sommeille en nous et qui, il y a 30 ans, achetait l’inénarrable Pif Gadget …mais Pifou n’avait jamais prétendu ériger l’astuce divertissante en art.
Oserais-je dire que la petite mousse têtue qui réapparait dans une cicatrice goudronnée à la Défense m’émeut vraiment, « me relie plus au reste du monde » que les balais Blaziens ? Cet artiste est l’auteur d’une déclaration (rapportée dans la revue « Question d’artistes N°V» qui fait office de catalogue) : « j’ai beaucoup de mal à exprimer les choses et c’est aussi pour cela que je fais des documents sur mon travail pour introduire la parole et pour ne pas passer à côté de l’essentiel ». Doit-on comprendre que l’œuvre blazienne est incomplète ou inefficace sans le discours qui la traverse ?

Remarquons que Blazy ne prétend pas au grand art et déclare «  mon seul but est de me faire plaisir, d’apprendre des choses sur moi-même ». Bel hédonisme jouisseur. « Je considère que le démiurge fait les choses par hasard et qu’il n’a aucun intention de départ », bigre, voilà encore de quoi renouveler la théologie chrétienne …

Peu de peintres dans cette exposition, mais Jenny Bourassin qui se focalise sur les catastrophes qui la plongent dans un état qui « frôle l’addiction » dit-elle : tsunami, incendies, inondations, sont certes brossés avec élan mais on se dit que c’est assez loin du sujet. Ca y est, j’y suis : l’arbre s’est envolé !

Ismaïl Bahri filme une goutte d’eau qui palpite sur la veine d’un bras ; la modestie du sujet touche, le commentaire agace : le travail « tend généralement à épuiser la forme, c’est-à-dire à en puiser les débords d’une essence ». En termes choisis, voici le vieux truc qui mène à l’iconoclasme : affaiblir au maximum le visible et affirmer que c’est un gage de profondeur.
La petite allusion à Duchamp et à sa notion d’infra mince ne  manque pas : «L’essence ou cet infra qui échappe aux sens et à la pensée ». Le lien avec l’arbre n’étant pas flagrant, on feuillette frénétiquement la revue pour comprendre aussi pourquoi  Michel Sanejouand ne nous montre que des cailloux : « Ca ne m’empêche pas d’aimer les arbres, un tas de choses, les fesses, mais j’aime plus les cailloux » dit-il. C’est son droit ; c’est le nôtre aussi de dire qu’aimer plus les cailloux que les arbres est une raison un peu mince pour figurer dans une exposition consacrée à l’arbre.

J’abrège, mais près de la moitié des artistes présents ne traitent pas le sujet !

Pas plus Roland Flexner qui peint des bulles d’encre avec une paille  que Thomas Fougerole qui se lance dans une série de « peintures de pluie » qui laissent place au hasard. « J’ai toujours eu ce désir de faire des peintures qui ne ressemblent pas à des peintures », « être une espèce de machine sensible qui déjouerait les attentes », bref, faire que la pluie se peigne elle-même. Il y a encore 10 ou 15 ans, un  « artiste émergent » … eut clairement affiché la couleur : il prend la suite d’Yves Klein qui avait déjà mis en œuvre de tels procédés. Là, l’allusion est feutrée : « je considère beaucoup moins mes tableaux comme des images que comme des éponges ». Seuls ceux qui connaissent les arbres-éponges de Klein comprendront l’allusion.

Mais que vois-je ? Ô miracle, enfin quelqu’un qui traite le sujet ! Et un peintre en plus !  Un arbuste mirifique qui fructifie dans la nuit, des racines au sommet et secoue sa constellation de pommes rouges. Ce peintre, c’est Séraphine, avec un tableau prêté par le musée Maillol. Séraphine est ici à l’insu de son plein gré. Comme Fernandel qui se retrouve faire de la pub après sa mort…Séraphine est brandie pour dire « c’est toujours le même art qui continue », puisqu’on vous le dit, pensez-le !

Jean-Luc Blanc vient pourtant prouver le contraire. Il crayonne des portraits (ne cherchez pas de rapport à l’arbre …) «Avec la peinture, je doute avant de brûler : pour la punir, je la mets sous la pluie, parfois pendant plusieurs jours ». Punir voilà un mot qui fera mal à tous les peintres qui triment pour conserver à la peinture le droit de vivre. Encore une phrase que Jean-Marie Ziegler aurait pu épingler dans son recueil « Les années noires de la Peinture ».

J-Luc Blanc trouve que « les fantômes sont une belle allégorie pour parler des images ». Tiens, voilà qui va nous revitaliser encore la théologie : que diraient les théologiens d’un  Christ, non plus image mais « fantôme de Dieu » ?
Encore un exemple emblématique de ces « peintres », plus conceptuels que peintres, qui jouent l’anti-peinture, bref qui pratiquent pour détruire….

….à suivre dans la rubrique « dossier » de CultureMag.

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