Argantorota, déesse gauloise

/Les éditions de la Différence ont publié au printemps le deuxième volume de la mythologie gauloise que Jean-Paul Savignac a exhumée et entrepris de raconter. C’est avec un profond plaisir qu’on se laisse mener dans cette mythologie inconnue, qui nous est pourtant si proche.
Parce que Jean-Paul Savignac est un merveilleux conteur et parce qu’il met en récit une civilisation que l’on savait depuis de récentes découvertes assez éloignée de l’image largement erronée et caricaturale qu’en ont donnée Goscinny et Uderzo à travers les aventures d’Astérix le Gaulois et qui est très loin d’être aussi barbare qu’on l’a longtemps supposée.

La civilisation gréco-latine s’est imposée dans l’histoire par la plus redoutable des armes, celle de la langue. Les peuples gaulois ont laissé beaucoup moins d’écrits, on les a donc considérés comme des barbares. Nous savons pourtant qu’ils étaient de certains côtés beaucoup plus raffinés que les Romains. Nous savons leur goût pour les parures, les étoffes, les bijoux, la place centrale qu’ils accordaient aux femmes et c’est plus sûrement à eux que nous devons notre fameuse courtoisie qu’à nos ancêtres les Romains. Argantorota Grande-Reine en est une preuve éclatante. On y apprend combien était important, sinon primordial le rôle des femmes, qui détiennent pouvoir, beauté, grâce, magie et sont l’origine et la fin de toute chose.

La femme choisit son amour et se soulève contre le désir de son père qui veut la forcer : c’est Epona, aussi dite Ana ou Matrona, déesse mère, primordiale, qui incarne le principe de vie, et enfantera Argantorota, elle-même mère de Lougous. A l’origine de la mythologie gauloise, la femme se révolte contre l’autorité du père, elle refuse de s’y soumettre.
Il ne semble pas inopiné d’avancer que la galanterie et le fin’amor ont une filiation avec les traditions gauloises. Lorsque Araounos propose à Pillos d’échanger leurs royaumes pour un an en prenant chacun l’aspect physique de l’autre, Pillos dort un an dans la couche de la très belle reine, femme d’Araounos, mais ne la touche pas, par respect et fidélité.
« Pillos se mit à converser avec la reine, il s’aperçut que c’était une femme hautement sensée, aux nobles manières et d’un langage raffiné. Ils dégustèrent boissons et plats exquis aux sons des harpes et des flûtes. De toutes les cours qu’il avait vues au monde, c’était la mieux pourvue en nourriture et boissons, en vaisselle d’or et en parures royales. Lorsque le moment d’aller dormir fut venu, la reine et lui allèrent se coucher. Dès qu’ils furent au lit, il lui tourna le dos et garda le visage penché vers le bord du lit. Il ne lui adressa pas un seul mot jusqu’au lendemain. Au long de la journée, la reine et lui eurent entre eux des propos tendres. Cependant, quelle que fût leur amitié, il n’y eut pas une seule nuit pendant toute cette année qui ne se passât comme la première. »

Quelle différence avec l’histoire d’Amphitryon pour qui se fait passer Zeus, en ayant revêtu son apparence, à seule fin de déflorer la belle Alcmène qui attendait que son Amphitryon de mari ait vengé son honneur avant de se donner à lui.

La tradition gauloise donne une importance primordiale à la beauté des femmes, à leurs parures, leurs bijoux, leur langage, mais aussi au respect de la parole, du serment, de la loyauté envers celui ou celle à qui on est lié. Il y a déjà, dans ces récits mythologiques, une forme de lien d’homme à homme sur lequel s’établira la féodalité et s’organisera la société franque au haut Moyen-Age.

Parole donnée, serment, trahison, magie, enchantement du monde : on est bien-sûr autant dans la mythologie gauloise que celte, c’est-à-dire déjà dans la tradition des chevaliers de la Table ronde et dans le royaume franc du Moyen-Age.

« Je fuis la guerre, mais je veux sauver la sauvage douceur du monde », dit Cernounnos à sa mère Argantorota, pour la persuader de combattre le peuple des Difformes qui menacent d’envahir son royaume. Comment mieux dire et avec plus de subtilité qu’il est parfois nécessaire de faire la guerre pour préserver l’harmonie du monde qui trouve son point d’équilibre entre la douceur et la sauvagerie ?

Qui a parlé de peuple barbare ?

Jean-Paul Savignac, Jean Mineraud, Argantorota, Grande-Reine, éditions de la Différence.

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