Maulin est de retour…

/… Avec un nouveau roman publié chez Denoël, et il n’est pas content. On dirait même qu’il a une sacré gueule de bois. La faute au monde moderne, au grand libéralisme économique, à la stupidité démocratisée, à l’adoration de la technologie, à la haine des vieux, des bêtes et de la nature, à l’aseptisation de la vie, à la mort dont les ténèbres envahissent peu à peu le monde moderne en se faisant appeler progrès. Et il a raison, il faut tout changer.
Faire rentrer les loups dans la bergerie et laisser la sauvagerie se réapproprier le monde. Car avec les loups, c’est l’imaginaire que l’on a exterminé à l’ère industrielle. Et ce n’est pas l’ère des nouvelles technologies qui rendra le monde plus vivant si on laisse faire.

« En séchant leur imaginaire, c’est leur perception du monde qu’on a détruite ; en détruisant leur perception du monde, c’est la possibilité de le changer qui s’est éteinte », s’exclame ravi Pipoute-Pipoute, l’un des grands de ce monde que l’anti héros du roman vient à croiser au cours d’une fête privée donnée dans un hôtel particulier du septième arrondissement parisien et qui se lance dans un exposé des plus géniales inventions de la modernité. En effet, le propre du totalitarisme moderne est de s’imposer comme le seul système politique et économique acceptable. D’être dans l’autojustification permanente afin de prouver qu’il n’y a pas d’autre possibilité qu’un capitalisme néolibéral, c’est-à-dire que la politique ne peut qu’être au service du marché tout-puissant, censé nous offrir la paix, le bonheur et la joie. C’est ce qu’a pensé et écrit Friedrich von Hayek, le pape du néolibéralisme pour qui le politique avait pour seul rôle de faire respecter le marché.

« Le néolibéralisme est une doctrine de la servitude volontaire, et la « liberté » qu’ont les individus de poursuivre leurs intérêts sans aucune contrainte apparente n’est que l’autonomie de fonctionnement d’un automatisme bien réglé, qui ne rencontre aucun grain de sable venant contrarier son mécanisme[i] », écrit Jean Vioulac, l’un des penseurs les plus affinés de notre modernité. Dans chacun de ses romans, depuis En attendant le roi du monde, paru en 2006, Olivier Maulin n’a de cesse de créer des personnages qui sont autant de grains de sable capables de faire dérailler la machine. L’énorme machine que l’on nous dit qu’il est impossible de faire dérailler. Et pourquoi ne pas essayer ? Vaut-il mieux être broyé par le marché et finir comme les loques post burn-out qu’on rencontre à la fin du roman dans une « maison de repos », ou se battre par refus de servir le grand marché mondial que l’on nous fait avaler avec force pilules de niaiserie et moult sucreries écœurantes. N’est-il pas venu le temps où l’homme doit retourner la parole de Satan contre le monde qui s’est mis à son service : Non serviam, je ne servirai pas.

Dans la tradition rabelaisienne, les romans d’Olivier Maulin défient souvent le sens commun et la raison. Mais après tout, qu’est-ce qui nous empêcherait de vivre ainsi une vie toute retournée, sens dessus dessous ? Nos cinq semaines de congés payés ? Nos smartphones ? Nos réseaux sociaux ? Notre grotesque petit confort de vie citadin ? Ou notre profond et inavouable désir de servitude volontaire ?

Olivier Maulin, Gueule de bois, éditions Denoël


[i] Jean Vioulac, La logique totalitaire, Essai sur la crise de l’Occident, PUF, 2013

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