Le naufrage du mécénat officiel : le Louvre et le gangster…

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Par Christine Sourgins, historienne de l’Art*

La rocambolesque odyssée culturelle du photographe coréen Ahae vient de démontrer à la fois et l’efficacité du ministère de la Culture, et sur quelle pente dangereuse glisse notre « exception française » depuis des décennies.

Vous prenez donc un photographe coréen, qui est un illustre inconnu, Artprice ne le connaît pas, avec un projet artistique stakhanoviste : prendre entre 2000 et 4000 photographies par jour, à travers une seule fenêtre, la sienne. Voilà une œuvre d’Art très contemporain : Ahae a le concept de la fenêtre, celui de répétition, de série, de work in progress etc. Même son nom qui veut dire « Bambin » en coréen, dégage ce parfum de paradoxe qui fait défaillir notre nomenklatura artistique, puisqu’Ahae est un bambin de 73 ans. Ce photographe, qui a produit un million de photos en deux ans à travers une seule fenêtre, trouvait que le Guiness des records manquait de prestige…

Il obtient donc, en juillet 2010, dans le jardin des Tuileries une première rétrospective au titre qui s’imposait, « De ma Fenêtre ». La préface du catalogue est signée par Henri Loyrette, alors président du Louvre, qui ne tarit pas d’éloges : Ahae serait, selon lui, « l’extraordinaire dans l’ordinaire » sic. Mieux, le Louvre n’a pas versé un centime, l’artiste s’est entièrement autoproduit. A ce compte là, le Bambin récidive en 2013, exposant deux mois à l’orangerie du Château de Versailles.
Sa présidente, Catherine Pégard, s’extasie : Ahaé c’est « l’instant qui se confond avec l’éternité  » car « d’une même fenêtre, Ahae, de l’aube au crépuscule, chaque jour de l’année, embrasse le monde » : Dieu que c’est beau la photographie !

Les esthètes qui nous dirigent sont-ils sous le charme de la Corée : Lee Ufan, autre coréen, sévit actuellement à Versailles avec beaucoup de modestie, se targuant d’avoir « surmonté la perfection de Versailles » (1) : serait-il, par hasard, un copain du « Bambin » ? Mystère, mais Henry Loyrette est président de l’année France-Corée qui va débuter sous peu…

Nos bureaucrates de la Culture sont-ils sous la charme du déclic du carnet de chèque qui s’ouvre ? Car le Bambin est en réalité un riche mécène qui a versé 1,1 million d’euros au fonds de dotation du Louvre, presque autant à Versailles… Bernard Hasquenoph, fondateur du site Louvre pour tous, a établi qu’Ahae, le gentil photographe, et Yoo Byeong-eon, féroce homme d’affaire, sont une seule et même personne !

Avis aux photographes hexagonaux, qui galèrent sans trouver une seule fenêtre dans le monde culturel officiel : pour exposer dans une démocratie, rien de plus simple, il suffit de frapper à la porte du Louvre, de Versailles, (le ministère vous donnera d’autres bonnes adresses), et d’ouvrir généreusement votre compte en banque et, d’un clic, vous vous achetez une légitimité artistique… qui sera rapidement cotée par art Price, n’ayez aucun doute…sauf anicroche.

Mais que se passe-t-il ? La Philharmonie, nouvelle grande salle de concert qui ouvre début 2015, vient de déprogrammer une exposition d’Ahae ! Embarras aussi au Théâtre Impérial de Compiègne (qui cumule les problèmes avec les mécènes) puisqu’Ahae devait être aussi le financier d’une programmation…

Catastrophe, tous aux abris ! Ce Tycoon asiatique a été condamné pour escroquerie, est aussi le gourou d’une église évangélique protestante mais surtout il est le propriétaire du ferry (mal entretenu, mal équipé, etc) qui a coulé le 16 avril dernier. Naufrage qui entraîna la mort de près de 300 personnes, des « bambins » pour la plupart, et la démission du premier ministre coréen, vue l’énorme vague de scandale qui vient éclabousser jusqu’à la Pyramide du Louvre ! Car Monsieur Yoo a disparu, recherché par toutes les polices de la planète…

Un mécène du Louvre escroc, gangster, lit-on sur le net ? Ou comment acquérir de la légitimité artistique et recycler au passage un peu d’argent sale ? On comprend mieux que le successeur de M. Loyrette, M. Martinez, ait ouvert le parachute, manifestant quelques réticences à faire ami-ami avec les « mécènes » d’AC.
Un article de Télérama (2), sur un ton condescendant, reprochait au nouveau directeur du Louvre de refuser de programmer les stars de l’AC au Louvre…Peut-être est-il un peu plus clairvoyant que son prédécesseur… ou mieux informé. Tout en ayant concédé, quand même, une nouvelle expo Koons… au Louvre. Koons, encore ! Au Louvre cette fois ?

On ne peut, à la lumière de l’épisode Ahaé, s’empêcher de demander : mais de qui, de quoi, Koons est-il le nom ?

(1) Le Monde, 13 juin, p.11.

(2) Télérama du 26 avril 2014 p. 26-27.

Photo : ahae.com

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