Rafraîchissements littéraires 2- L’Europe buissonnière, Antoine Blondin : À la guerre, comme à l’école !

           L’Europe buissonnière. On dirait presque que c’est une histoire de potaches. Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que les pays se déchirent, que les hommes s’entretuent, certains y voient un terrain de jeu : ils s’appellent Muguet, Superniel, Constant, l’Idiot, et sont à la guerre comme on est à l’école. Les officiers y tiennent le rôle des professeurs, les matons sont les pions avec qui on peut s’arranger, le bagne devient la retenue, et les marches forcées passent pour des mises au rang, au sein desquelles on se lie d’amitié, dans les interstices de l’autorité. Rue de la guerre, on quitte au matin le 19 de la maison pour le 39 de l’école, et l’on rentre au soir, à 19h45.
Entre temps, on devient un homme, on a appris l’amour.

Entre l’école buissonnière et l’éducation européenne

 

            La guerre est donc ce lieu où l’on grandit sans vieillir, où l’on vit une éternelle adolescence : c’est la jeunesse qui fait le mur, quittant la cour austère de la guerre, celle des exécutions sommaires, des privations, des persécutions, pour passer de son côté ludique. Ici, la mort flotte sans sérieux : les armes en bois tirent de vraies balles, mais on fait plus souvent le mort que l’on est tué ; et les camps de prisonniers sont un pensionnat dont on s’échappe par la fenêtre. Et puis il y a les femmes, maternelles, qui semblent avoir toujours un coup d’avance, et qui garantissent les baisers aux blessés. Mais c’est un rôle subtil : un regard trop rapide n’y verrait que celui de faire-valoir. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas, car elles sont d’une importance capitale : sans elles la guerre deviendrait dangereuse. Du côté de Muguet, personnage principal, le nombre astronomique de ses conquêtes apparaît comme les racontars d’un écolier un peu trop informé pour son âge, mais dont la légende devient réalité sitôt qu’elle est diffusée par ses camarades ébaubis.

 

L’étudiant et le héros

 

            Divisé en deux parties, le livre fait la part belle à deux personnages, Muguet et Superniel. Le premier apparaît comme un conte à côté du second, qui, lecteur sorbonnard, n’a rien  vécu et essaye de participer à un événement qui le submerge. Muguet, à moitié réel, à moitié légendaire, est à moitié adolescent, à moitié mentor. Lui-même résume à merveille sa situation, brin qui accepte d’être emporté :

            Je ne suis pas un dur. Je n’ai pas choisi mon époque. C’est elle qui m’a fait. Je flotte comme elle l’exige. Vous autres, vous ne voulez pas vous laisser faire. Vous coulerez. Je ne suis pas un nageur, moi ; les événements me dépassent. Du moins je ne m’agite pas. 

 

            Ce Muguet est le plus visible des personnages, et semble pourtant occuper une place ambivalente : protagoniste principal de la première partie, il est le candide d’un Bildungsroman (récit d’apprentissage) presque enchanté, où tout prend des dimensions différentes ; il prend tantôt des allures de Gulliver, tantôt d’écolier ; il oscille entre Don Quichotte et Dom Juan (comme lorsqu’il est chargé de féconder tout un village où les hommes sont impuissants). Dans la seconde partie, il disparaît jusqu’au dernier acte, où il revêt le costume d’un personnage de conte, véritable légende vivante pour Superniel. Il devient ce camarade de classe qu’on admire pour ses histoires, dont on ne sait jamais si elles sont vraies mais que l’on croit quand même.

 

            Comme toute histoire d’écoliers, c’est avant tout de camaraderie dont il s’agit, c’est un roman de garçons qui ont encore besoin de leur mère derrière eux, et l’aventure n’a d’intérêt que parce qu’elle peut être racontée, rêvée, davantage que parce qu’elle peut-être vécue. Au cours du roman, de très jolies formules viennent ponctuer l’histoire toujours légère, lui donnent ce tour poétique qui permet d’oublier le sérieux de la guerre, comme lorsque qu’ils rentrent dans Vienne dévastée :

 

Elle a dû être belle, murmura Rémi, comme on eu dit d’une grande dame.

 

Alors qu’approche la fin de la guerre, on réalise qu’en définitive toute cette aventure n’invite qu’à une seule échappatoire, qui est la seule bonne raison de sortir d’une enfance toujours magique, même pendant la guerre ; qui est la chose la plus simple du monde: l’amour.

Maximilien Herveau

À lire : Dans une cabane en haut d’un arbre, en rêvant par-dessus les palissades.

On retient : la scène de danse qui prend corps dans le texte, p. 275-277

 

L’École buissonnière, Antoine Blondin, Éditions de la Table Ronde, 1953, Paris.

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