De quelques galeries d’art

/Partant du boulevard Saint-Germain, la rue Bonaparte et la rue Mazarine forment un triangle dont la pointe touche la Seine.

Dans ce triangle, pas moins d’une vingtaine de galeries d’art ouvrent leurs portes aux visiteurs du mardi au samedi. Il ne faut pas hésiter à en pousser la porte et à s’y attarder, au risque d’y prendre goût et de délaisser un peu les musées à l’atmosphère pesante et à la mémoire artistique envahissante.
Bien entendu, la galerie d’art n’a pas le rôle du musée, et c’est peut-être ce qui en rend la fréquentation plus légère. On n’y est pas assommé de chefs d’œuvres des siècles passés, on peut y entrer librement, en sortir de même et laisser aller son imagination hors des chemins de la pensée et de la culture balisés par les cartouches et les textes de référence. Et cette liberté, par temps de culture organisée, fait du bien.

La visite des temples de l’art que sont les musées donne trop souvent le sentiment d’une promenade dans un cimetière – et à ce compte, il vaut mieux se promener au Père-Lachaise ou au Montparnasse où les œuvres d’art ne sont pas déliées de leur fonction initiale et où l’air est respirable, contrairement à de nombreux musées. Mais Jean Clair a déjà largement évoqué la « délocalisation » insensée des œuvres d’art, leur « décontextualisation », si l’on peut dire.

Ainsi la galerie d’art n’a pas pour vocation de conserver l’art mais de le vendre. De lui donner un lieu. On peut souhaiter que l’art soit propriété de l’État pour être mis à disposition de tous. On peut aussi songer que cela n’a pas beaucoup de sens et aimer tomber sur une jolie peinture ou un étonnant objet d’art chez un particulier. On peut trouver que cela confère davantage de mystère et un rapport plus intime à l’œuvre. Qu’il y a infiniment plus de poésie à se promener à Venise, Paris ou Amsterdam en admirant les chefs d’œuvres architecturaux et les tableaux de maîtres qui demeurent encore dans les églises ou les palais pour lesquels ils ont été peints, qu’à voir dans un désordre raisonné une multitude de toiles et d’objets dans un musée.
Le narrateur de la Recherche du temps perdu ne se rend pas au musée pour voir les Eltsir qu’il aime, mais chez la duchesse de Guermantes. De même qu’il se rend à Balbec et Venise pour admirer l’architecture. Rien de moins romanesque qu’un musée, Dan Brown et son inepte Da vinci code en sont la preuve.

/Entrons donc dans les galeries. Parce qu’elles présentent un ou deux artistes à la fois et que l’on peut voir tout ce qu’elles exposent sans sombrer dans la boulimie et sortir en vomissant de l’art. Parce qu’elles forcent à se forger un regard critique. Parce qu’on y entre gratuitement, enfin, et que l’on n’y est pas étouffé de monde. Parce qu’elles reflètent le temps présent dans sa production artistique. Pour le meilleur et le pire.

Alain Pontecorvo est exposé à la galerie de l’Europe, rue de Seine. Dans sa peinture très graphique et géométrique, on sent, derrière le peintre, l’ancien directeur d’une agence publicitaire. La lumière et les lignes prouvent une grande maîtrise du dessin et de la technique picturale. Mais il est permis de penser que ces toiles dites hyperréalistes – et qui rappellent par certains côté l’américain Edward Hopper – sont un peu froides et manquent de sensibilité et d’émotion.

Claudine Legrand ne cesse de surprendre par ses choix. Cette fois, c’est l’œuvre luxuriante de Christophe Ronel qui est accrochée. Des toiles pleines de couleurs bariolées, hantées par l’Afrique, l’Inde et une foule d’animaux attifés comme de grotesques ou superbes personnages. On est à la fois dans la fable, la légende africaine, la farce et l’allégorie. Il faudrait sauter dans ces toiles comme font les deux enfants dans les dessins à la craie de Bert en donnant la main à Mary Poppins, on y rencontrerait des gallinacées de toutes sortes, des poissons, des oiseaux, des boucs et de superbes éléphants qui portent lentement et pesamment le monde sur leur dos. On se retrouverait sur les rives du Bosphore à Istanbul, dans une ville de l’Inde, un village d’Afrique ou encore au pied de la Tour de Babel. Et l’on décrypterait alors, sans aucun doute, toute la symbolique de ces peintures.

La galerie GNG expose quant à elle, rue Visconti, les toiles torturées et un rien éprouvantes de Catherine Seher. Silhouettes disparaissant dans des couleurs marécageuses, fillettes floues et mutilées, sans regard, semblant des poupées de chiffon abandonnées, déchirées, sombrant dans des arrière-fonds salis, ses toiles choquent l’émotion sans que l’on puisse dire avec certitude d’où provient la sensation de malaise qu’elles provoquent. Sans doute est-ce l’ensemble de la toile, un ensemble très réussi du point de vue du dessin et de la couleur – un ensemble sombre et dérangeant.

Par ailleurs, dix artistes de la galerie sont exposés pour l’été au Château-Musée Grimaldi, à Cagnes-sur-mer.

Laurence Esnol expose toujours les œuvres, peintures et dessins, de H. Craig Hanna, dont sa galerie a l’exclusivité mondiale. Immense dessinateur, peintre hors pair, ce jeune américain a déjà la réputation qu’il mérite et qui tient en partie à la ténacité de Laurence Esnol. Il y aurait tant de choses à écrire sur l’œuvre de cet artiste qu’il vaut mieux laisser à chacun la joie de le découvrir. Notez que les reproductions que l’on trouve sur internet ou même sur imprimé sont très en-dessous de la vérité et qu’il faut se rendre à la galerie pour prendre toute la mesure de sa technique et de son talent.

Pratique :

Galerie de l’Europe, 55 rue de Seine 75006 – www.galerie-europe.com

Galerie Claudine Legrand, 49 rue de Seine 75006 – www.galerie-claudine-legrand.com

GNG galerie d’art, 3 rue Visconti 75006 – www.galeriegng.com
Château-Musée Grimaldi, Haut-de-Cagnes, place du château, 06800 Cagnes-sur-Mer

Laurence Esnol gallery, 7 et 22 rue Bonaparte – www.laurenceesnolgallery.com

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