A Dakar, le Sommet de la Francophonie : vigilance !

Par l’Ambassadeur Albert Salon*

"/Sommet de la Francophonie a tenu sa 15ème session, les 29 et 30 novembre 2014 à Dakar,  en présence des représentants – dont trente-trois chefs d’Etat et de Gouvernement – de la quasi-totalité des quelque 80 membres de l’Organisation internationale de la Francophonie, et d’observateurs de pays non membres de l’OIF, dont l’Algérie.
Les thèmes officiels – femmes et jeunesse – ont été traités avec les recommandations consensuelles de rigueur.
Mais, selon des analystes objectifs, ce Sommet a marqué une évolution inquiétante. 

En effet, cette édition 2014 laisse entrevoir, non la vraisemblance, mais la possibilité d’un effritement, voire d’une lente sape par les ennemis de la Francophonie organisée (OIF). En effet :

– La vieille et utile idée d’ajouter un fort contenu économique et commercial à la Francophonie organisée, surtout culturelle, a été, certes, réaffirmée fortement lors de ce 15ème Sommet, dans la ligne des rapports de M. Pouria Amirshahi en 2013 et de M. Jacques Attali en 2014. Mais la volonté réelle des partenaires principaux et les mesures concrètes à prendre ne sont guère présentes. Guère plus qu’après le Sommet de 1997 à Hanoï : la conférence des ministres de l’économie et des finances alors décidée eut bien lieu en avril 1998 à Monaco, sous la présidence du Français M. D. Strauss-Kahn ; mais elle fut « neutralisée » par les pays du Nord.
– La fâcheuse tendance à l’élargissement indéfini à de nouveaux membres, de moins en moins francophones, se poursuit. Après le Qatar en 2012 ont été, en novembre 2014, admis en qualité d’observateurs le Mexique, le Costa Rica, et le Kossovo, peu francophones, et auxquels il n’est même plus demandé sérieusement de renforcer la langue française dans l’enseignement, les media et même les relations diplomatiques internationales, et à l’ONU. Si l’affluence de candidats à l’entrée peut donner aux mal informés l’impression d’une bonne santé de l’Organisation, les crédits étant, eux, en baisse, cette simple apparence cache un réel danger de dilution, et d’affadissement.
– La succession de M. Abdou Diouf, difficile compte tenu de la personnalité de cet ancien Président de la République du Sénégal qui a su, en douze ans (trois mandats de 4 ans) renforcer l’OIF sur la scène politique internationale, et contribuer, en haut sage africain très respecté, à la résolution de conflits en Afrique, n’a pu être assurée de manière satisfaisante. Selon une sorte de pacte conclu en 1997 au Sommet de Hanoï la succession de M. Boutros Boutros Ghali, ancien Secrétaire général de l’ONU, le poste de Secrétaire général de l’OIF, alors créé, devait aller à l’Afrique francophone, dont les pays constituent le groupe continental le plus nombreux au sein de l’Organisation. Or, c’est une candidate du Nord, une Canadienne, qui a été élue, dans des conditions qui restent contestées.

En effet, faute de candidatures crédibles d’anciens chefs d’Etat africains (ou autres, par exemple : libanais), susceptibles de recueillir une majorité, le Canada fédéral a pu, au terme d’une longue campagne très déterminée et active, voire acharnée jusqu’au dernier moment, obtenir l’élection de son ancien gouverneur général, Mme Michaëlle Jean, représentante à Ottawa de la reine du Royaume Uni et du Commonwealth.
Mme Jean est une très avenante mulâtresse haïtienne de moins de 57 ans, immigrée depuis longtemps au Québec.
Journaliste connue à Radio Canada, elle épousa le cinéaste français Jean-Pierre Lafont. Elle eut, avec son mari, une présence active dans les milieux indépendantistes québécois. Elle accéda aussi à la nationalité française avant de l’abandonner afin de pouvoir être nommée gouverneur du Canada par les habiles gouvernements d’Ottawa et de Londres. Elle n’a exercé aucune haute responsabilité politique vraiment exécutive, celle de gouverneur étant là-bas essentiellement honorifique et protocolaire. Elle ne possède pas une réelle connaissance de l’Afrique, continent principal pour l’avenir de la Francophonie.

Beaucoup d’Africains sont marris de son succès, pour n’avoir pu s’entendre sur l’un des leurs. Ni, du reste, sur le Mauricien Jean-Claude de l’Estrac, peut-être le meilleur de tous, plusieurs fois ministre dans son pays, Secrétaire général de la Commission de l’Océan indien qui est en majorité francophone. Il est vrai qu’il n’est pas d’Afrique continentale, ni ancien chef d’Etat. Mais il avait présenté partout un programme cohérent et attrayant, soutenu par divers gouvernements africains et asiatiques et par nos sociétés civiles du Nord.
D’aucuns avaient espéré son élection jusqu’au dernier moment. Il eût aussi fallu pour cela qu’il eût été mieux soutenu par les membres européens de l’OIF, particulièrement par la France, ce qui ne fut pas le cas, malgré diverses assurances reçues par lui à Paris.

M. de l’Estrac a pu, dans une conférence de presse, inusitée en pareille circonstance, déplorer ce qu’il a pu ressentir comme une trahison de la part de pays africains qui s’étaient engagés à le soutenir, et du Président français, bizarrement acquis à la candidature de Mme Jean.

Les observateurs avertis savent que le Canada fédéral, contrairement au Québec, est en Francophonie un peu pour ses communautés francophones qu’il laisse fondre hors Québec, mais beaucoup pour encadrer et surveiller le Québec « Belle Province », depuis la création de la timide ACCT en 1970 à Niamey, et plus encore depuis le premier Sommet réuni en février 1986 à Paris et Versailles par le Président Mitterrand. Ainsi que pour faire pièce à un allié-ami et néanmoins concurrent-ennemi : la France. Aussi pour développer les affaires avec l’Afrique. Mais ce dernier objectif ne saurait être condamné ici, car largement partagé par la France, le Vietnam, la Belgique, la Suisse, le Qatar, et bien d’autres pays membres.

Dans divers milieux québécois, on regrette que l’élection d’une personne du Nord au Secrétariat général de l’OIF entraîne le départ de M. Clément Duhaime, leur compatriote compétent et respecté. En effet, en vertu d’une tradition bien ancrée, le poste clé d’Administrateur général va à une personne du Sud si le SG vient du Nord, et réciproquement.
Ne va-t-on pas aussi là-bas, et ailleurs, jusqu’à faire, à Mme Jean et à Ottawa, un procès d’intention : celui d’une sorte d’OPA sur l’OIF au profit du Canada fédéral et de l’empire anglo-saxon. Quitte, logiquement, à prouver la justesse de la prévision d’un Bernard Kouchner qui voyait dans « l’anglais, l’avenir de la Francophonie » ?…

Les associations concernées, inquiètes, refusent pourtant ce scénario catastrophe.
Elles sont, tout en restant particulièrement vigilantes, prêtes à donner toutes ses chances à Mme Jean, à sa sensibilité, son intelligence, à son souci de laisser une marque digne d’elle dans l’histoire de la construction de la Francophonie
Elles travaillent simplement à développer la solidarité et la coopération entre associations de France, du Québec, de Wallonie-Bruxelles, de Suisse, et d’autres communautés francophones, y compris en Afrique, en Amérique centrale et en Asie, pour faire face à toutes éventualités.
Elles peuvent retrouver ainsi l’esprit, le bouillonnement très fécond de la décennie que, dans les années 1960, avant la création en 1970 de l’ACCT, on a appelé la Francophonie des ONG.

Albert Salon, docteur d’Etat ès lettres, ancien conseiller culturel puis ambassadeur français.

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