L’Art contemporain bat la campagne

Les temps changent, la Fiac cède la place à Paris + par Art Basel, peu de tv ou radios s’en firent l’écho mais laisser le grand public à l’écart permet de mieux gérer l’entre-soi financier et les affaires furent bonnes.
D’autres évolutions se font jour, non seulement les écologistes s’attaquent à l’art (opéra perturbé, chefs d’œuvre souillés d’aliments etc.) mais l’AC à son tour donne dans le greenwashing : pour verdir sa connotation urbaine (voire parisienne ou « bobo ») car depuis la crise sanitaire, de nombreux artistes délaissent les villes : « le désir de collectif, de créer des lieux plutôt en milieu rural, est ­hyper fort ­actuellement dans les écoles d’art » (1).

 

De plus en plus précaires économiquement, les plasticiens migrent par exemple sur le plateau de Millevaches, pour « renouer avec le vivant », en tentant des modes de productions alternatifs. Rem Koolhaas avait installé un tracteur au Guggenheim, mais l’actuel mouvement « va à l’encontre de l’éco-capitalisme défendu par ­Koolhaas » car il s’agit de «néo-pastoralisme », de « pionniers de l’art rural » créant cantine, « délégation nomade », école de bergers ou monnaie virtuelle. Bref, d’un rapport « néocolonial » avec cette ruralité concentrant les défis de notre époque : problèmes de mobilité, de services publics, de vieillissement de la population, de santé, de fracture numérique… toutes ces calamités tremblent car l’AC, tel Zorro, est arrivé !

De valeureux artistes d’AC voleraient donc au secours de nos agriculteurs, parfois acculés au suicide, sur fond de souveraineté alimentaire en berne ? Mais si créer un café associatif accueillant « initiatives locales, étudiants des beaux-arts, performeurs ou critiques qui ont besoin d’un espace » est fort sympathique, ce « pont entre art contemporain et économie sociale et solidaire » suffira-t-il ?
Au pied du Vercors, des ateliers divers organisés en mini beaux-arts avec salle d’expo et gîte collectif, impliquent de réhabiliter une usine, donc des subventions européennes et locales. Compte tenu de la propension des subventions à jouer les vases communicants, à habiller Marcel en déshabillant Job, l’argent capté par ces néo-ruraux-là, ne le sera-t-il pas au détriment des autres ruraux ou néo-ruraux ?

Car la « subversion/ subvention » rôde et pour l’AC « prenant à rebours les clichés », la campagne reste « un terrain de jeu idéal pour des expérimentations ultra-technologiques ».
En Limousin (dans le village où est enterré de Gilles Deleuze !) un projet artistique veut acquérir une portion de colline avec sa forêt de 20 hectares, en vue « d’un « film de 1 000 ans », entièrement tourné par une intelligence artificielle et « par toutes les entités humaines et non humaines qui habitent cette forêt ». « Les œuvres ne ­seront pas seulement destinées à des spectateurs, elles auront aussi pour fonction d’entraîner la machine ». Mettre « les nouvelles technologies au cœur de la révolution pastorale » permet avant tout, je cite, que « le mythe de la pureté s’effondre, celui d’un retour à l’âge d’or ». Bref, transgresser semble bien plus important et jouissif que d’aider agriculteurs ou éleveurs à la peine ; pas sûr que ruraux et néo-ruraux y trouvent le renfort annoncé : il est probable que l’AC va juste élargir son domaine de lutte.

Christine Sourgins

(1) Claire Moulène,« Les nouveaux villages de l’art contemporain » – Libération, 26/09/2022.

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