Hommage à Alfred Hitchcock

/Une série d’évènements célèbrent Alfred Hitchcock. Parcours et hommage au maître incontesté du cinéma de la peur.

Silhouette bonhomme et cigare aux lèvres, Alfred Hitchcock (1899-1980) continue plus de trente ans après sa mort d’occuper une place singulière au sein de la mémoire collective. Retour en forme d’hommage sur un parcours et un individu hors du commun.

Né le 13 août 1899 à Leytonstone (banlieue de Londres), l’enfance d’Alfred Hitchcock ne présente rien de vraiment remarquable. Seules parmi le flot ininterrompu d’exégèses, deux anecdotes surnagent et méritent toutefois d‘être reprises.

La première concerne sa mésaventure dans un commissariat de police. Son père l’avait chargé de remettre une lettre à un officier. Ce dernier, farceur à l’humour douteux, enferma en cellule le petit garçon alors âgé d’à peine cinq ans. Ces quelques minutes passées derrière les barreaux traumatisèrent le jeune Hitchcock, et  marquèrent son imaginaire à tout jamais

L’autre fait touche de plus près au domaine de la création. Ses parents, épris de théâtre l’emmenèrent un jour assister à une représentation. Et face au spectacle, Hitchcock découvrit l’étrange pouvoir de séduction dégagé par le méchant de l’histoire. Savoir modeler un assassin, bâtir un salaud: tâche essentielle à laquelle le futur réalisateur s’astreindra durant les soixante prochaines années.

À 19 ans, Alfred Hitchcock rejoint la compagnie télégraphique Henley tout en suivant des cours de dessin à l’université de Londres. L’entreprise remarqua vite ses talents graphiques et le muta au service publicitaire.
Peu à peu, le cinéma se rapproche. Au début des années 20, le jeune homme gagne en responsabilités et illustre les cartons des intertitres de certains films (The Mystery Road de Paul Powell par exemple).
Son embauche chez Famous Players- Lasky British Producers Ltd marque sans doute une étape importante de son parcours. Chez eux, il cumule les savoirs et assume pléthore de responsabilités. Décorateur, assistant-réalisateur, monteur : Hitchcock brille par une curiosité insatiable et un savoir-faire sans limites.

C’est en 1925 qu’Alfred Hitchcock réalise et achève enfin son premier long métrage. Intitulé The Pleasure Garden (Le Jardin Du Plaisir), il contient déjà en germes les axes de son œuvre à venir. Intrigue policière, amours complexes, héroîne séduisante et glaciale. Autant de thématiques et de stratégies mises en place, qui seront sans cesse renouvelées par la suite.

Jusqu’à la fin des années trente, Hitchcock ne s’arrête jamais. Son souffle ne parvient à se contenir, et un succès national ne tarde à venir . Première période dite « anglaise » de l’artiste, elle correspond du muet au parlant, au développement d’un cinéma singulier, qui trouvera sa forme et son apogée quelques années plus tard.

À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le réalisateur quitte sa terre natale afin de gagner les rivages des États-Unis. Là-bas, fort de sa renommée, d’autres horizons se dessinent. David O.Selznick, immense et puissant producteur d’Hollywood, à qui l’on doit notamment Autant En Emporte Le Vent, lui fait signer un contrat le 1er juillet 1938.
Rebecca (avec Laurence Olivier et Joan Fontaine) sera le premier fruit de leur collaboration. Sortie en avril 1940, cette histoire d’amour impossible située dans un château effrayant, remportera un vif succès commercial, allant jusqu’à glaner deux oscars

Malgré le succès et la réalisation d’autres films majeurs (Soupçons en 1941, Lifeboat en 1942, La Maison Du Docteur Edwards en 1945, Les Enchaînés en 1946), une bonne part de la critique ne le suit pas et ne démord pas de ses positions.

Il faudra attendre le milieu des années cinquante pour voir enfin s’élever des plumes dithyrambiques. Les Cahiers Du Cinéma furent parmi les protagonistes de cette réévaluation de l’œuvre du réalisateur. Dès 1954, un numéro spécial lui est consacré. En 1957, Eric Rohmer et Claude Chabrol rédigent le premier ouvrage traitant de son cinéma. Et bien sûr, Truffaut rencontre le maître en 1966, ce qui donna lieu à un livre d’entretiens de référence : Hitchcock/Truffaut (éd. Ramsay)

/Comme souvent,  une bonne part de la critique manqua de lucidité. Aujourd’hui le tort semble réparé. Hitchcock n’est plus contesté. Son importance est admise, même si certains continuent de le penser en simple « maître du suspense ».

Expression consacrée, mais certainement réductrice, elle ne saurait refléter l’étendue de l’ambition du cinéma hitchcockien. Un simple regard sur quelques unes de ses productions essentielles suffit à le démontrer.

Prenons par exemple Spellbound (La Maison Du Docteur Edwardes, avec Grégory Peck, Ingrid Bergman, 1945) qui sous des dehors anodins parvient à poser de profondes questions. À la fois romance et intrigue, le film explore les contrées de la psychanalyse et de l’inconscient (notamment par le biais d’une séquence onirique conçue par Savador Dali), territoires assez peu portés à l’écran à l’époque.

Idem pour Rear Window (Fenêtre Sur Cour, avec James Stewart, Grace Kelly, 1954).
Le journaliste qui suite à un accident occupe ses journées à épier ses voisins avec ses jumelles ne renvoie-t-il pas à notre propre position de spectateur ? L’immeuble, où se jouent des quotidiens, des passions et des crises, ne ressemble-t-il pas à ces existences que nous aimons tant observer sur les écrans de salles obscures ?

De même en ce qui concerne Psycho (Psychose, 1960, avec Anthony Perkins, Janet Ligh).Si le scénario reste simple, force est de constater l’insuffisance d’une telle lecture. Hitchcock joue avec les codes et se dirige vers d’autres contrées. Le film, au lieu de seulement graviter autour de l‘enquête, nous donne à toucher la folie de Norman Bates. Magnifiquement interprété par Anthony Perkins, ce schizophrène sublime, voyeur et méticuleux, interpelle le public et touche les consciences.

Les exemples retenus soulignent avec pertinence l’immense champ des possibles interprétatifs ouverts par les films d’Hitchcock. Plus que le « maître du suspense », il fut cinéaste, artiste à part entière.
Et qui dit artiste dit nécessairement producteur d’une pensée sur le monde. Cette réflexion, Hitchcock, sorte de démiurge ogresque, l’a distillée le long d’une carrière  de 54 films, 370 épisodes télévisuels et au gré de plusieurs centaines de pages d’exercices livresques.

Les hommages rendus actuellement ne sont donc en rien fruits du hasard. Les rétrospectives à la Cinémathèque Française et à l’Institut Lumière de Lyon, ainsi que la parution de la biographie de Patrick McGilligan témoignent de l’incroyable vivacité de l’œuvre hitchcockienne.

Alfred Hitchcock s’éteint le 29 avril 1980. Trente années plus tard, il mérite toujours de s’y intéresser.
Plus que cela : il est un détour nécessaire. Une étape utile afin de comprendre le cinéma, son histoire, son évolution, ses inclinaisons, et sans doute, pardessus tout un peu de nous-mêmes.

Guillaume Blacherois

Pratique :

Rétrospective à la Cinémathèque Française, du 5 janvier au 28 février 2011.
51 Rue De Bercy –  75012 Paris.

Rétrospective à l’Institut Lumière, jusqu’en mars 2011.
25 Rue Premier Film – 69008 Lyon.

Alfred Hitchcock, une vie d’ombre et de lumière, de Patrick McGilligan, paru chez Actes Sud/Institut Lumière.

Hitch, pièce de théâtre de Stéphane Boulan et Alain Riou.
Théâtre du Lucernaire
53 Rue Notre Dame Des Champs – 75006 Paris.

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