Et la politesse ?

Par  Cécile Ernst*

/Les incivilités qui caractérisent les comportements de nombre de nos concitoyens aujourd’hui, de tous âges et de toutes origines socio-culturelles, m’apparaissent comme un danger certain pour notre démocratie.

En effet, l’étude de l’évolution de nos sociétés occidentales montrent qu’elles on connu depuis le XVIème siècle, un phénomène de « pacification des moeurs » selon le sociologue Norbert Elias. Cela signifie que progressivement, sous l’influence de l’idéal de l’honnête homme porté par la Renaissance, les sociétés ont valorisé de plus en plus la civilité des comportements : articulée à un fort contrôle de soi-même par les individus, cette civilité se traduit par une culture de l’esprit et des manières dont l’objectif est de rendre plus harmonieuses les relations sociales.
Le pouvoir royal, en France surtout, comprendra très vite l’intérêt d’encourager la civilité : cela lui permettra en effet de limiter l’humeur combative et la fougue de la noblesse d’épée et de réduire la violence physique dans la société.
Ce processus est perçu comme très positif par les historiens.

De plus cette civilité va être au cœur du projet démocratique des Républicains qui arrivent au pouvoir avec la IIIème République. L’école de Jules Ferry va s’efforcer de transmettre cet idéal de civilité à tous les enfants de manière à leur apprendre à être des citoyens actifs.
Cultiver son esprit permet d’acquérir le savoir et l’esprit critique nécessaire à la participation politique et notamment au vote.  Cultiver ses manières permet d’apprendre le contrôle de soi, le sens des autres et de l’espace public, la responsabilité vis-à-vis de ses concitoyens.
Ainsi la civilité n’apparaît-elle pas comme une simple politesse, laquelle peut se définir comme l’art d’être agréable aux autres, mais elle va plus loin car elle a un fondement politique dans une société démocratique.

Depuis plusieurs décennies, pour avoir cessé en grande partie la transmission des codes de la civilité, véritables règles du savoir-vivre ensemble dans une démocratie, nos sociétés mettent en danger aujourd’hui la démocratie : les incivilités témoignent d’un mépris avéré de l’espace public et des autres. En ne sanctionnant plus ces comportements incivils dans l’espace public, à l’école etc … pour des raisons très diverses, nos responsables ont laissé se réinstaurer une loi du plus fort dans les rapports sociaux qui endommage considérablement les principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
Dans un État de droit, la loi a pour objectif, entre autres, de préserver le plus faible contre le plus fort : le droit du travail en témoigne, la Constitution aussi qui délimite très strictement les pouvoirs des élus. Laisser se déployer les incivilités revient à accepter une réduction de l’Etat de droit : c’est en cela qu’elles fragilisent la démocratie.

Je crois urgent d’inverser la tendance aujourd’hui …

*Professeur agrégée de Sciences sociales, diplômée de Sciences-Po, enseignante en lycée depuis quinze ans, notamment en zone sensible. Egalement membre du Conseil d’administration de l’ONG ACTED.

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