Bibliothèque d’un réactionnaire

A quoi comprenez-vous que vous êtes dans la demeure d’un réactionnaire ? Il y a des livres partout, dans chaque pièce, à droite, à gauche, de droite et de gauche d’ailleurs, ce qui vaut certificat de reconnaissance et pedigree en majesté.
Vous y dénicherez aussi bien La Semaine Sainte d’Aragon que Les Sept couleurs ou Notre avant-guerre, Brasillach ayant toujours sa place dans une bibliothèque bien élevée, même si toutes n’ont pas cette audace. Il y règne encore une atmosphère de sagesse guillerette, d’insouciance plus ou moins vertueuse, valant passeport pour une vie de bonheur.

Dernièrement, je fus appelé en renfort d’un déménagement auquel Hercule n’eût pas suffi et puis, il avait d’autres travaux en cours. Je fus bientôt submergé de perles de culture et, avec la bénédiction du maître des lieux, fus autorisé à emporter cinq de ses merveilles pour me former le goût. Le hasard joua-t-il dans mon choix ? Libre à vous de le deviner.

Je commençai par celui auquel Jean d’Ormesson donnait volontiers du « grand poète », Charles Maurras, que Michel Déon décrit si tendrement dans ses Arches de Noé (précipitez-vous sur Les Pages françaises, Gallimard, vous me remercierez). Au programme,  Le mont de Saturne, un conte moral, magique et policier, paru aux éditions des 4 Jeudis et composé dans la prison Saint-Paul-Saint-Joseph, à Lyon, à une époque où le français s’écrivait avec élégance derrière les barreaux. De méchantes langues affirment que, de nos jours, le téléphone arabe remplace cette prose des dieux, n’écoutons pas les médisants  et tournons-nous plutôt vers ce mec plus ultra, « fier de payer cette fidélité aussi volontiers que l’on paierait l’obole aux barrières d’un paradis ».  Le destin de chaque homme est-il tracé dans ses paumes, lesquelles abritent sept monts (Soleil, Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, en plus de celui qui nous intéresse) ? Vaste débat et n’est pas chiromancien qui veut, les jeux de mains étant souvent jeux de vilains. Le mont de Saturne, s’il est développé, signe un esprit très intelligent, indépendant et doué pour l’organisation. Ce conte payé à la société  se veut plus coup de force que de main. Maurras y joue avec son personnage, s’apitoie sur le naufrage du Saint-Philibert, une coquille de noix forcément vagabondefait ressurgir de vieux souvenirs, une claque à Mariéton, un envoi de Frédéric Mistral sous forme de calembour: « Té ! mau-ras, manjo e bèn ! » (tiens, mal rassasié, mange et bois), « dont il riait de très bon cœur ». Nul n’est, paraît-il, prophète en son pays : « Tu es donc, ô Main Droite, ce qu’il faut que j’appelle mon bien, l’unique bien, contre cette Gauche, miroir et médiateur de mon mal : le mal longtemps subi que rejettent, d’accord, l’intelligence et la vertu.»   Une subite envie de lui tendre la main ?

La divination me guidait naturellement en direction des Tharaud, Jérôme, de l’Académie, et son frère Jean, pour un petit trésor : Les contes de Notre-Dame, paru aux éditions Plon. En ces temps-là, la cathédrale n’a pas encore flambé. Les Nazis, eux-mêmes, reculeront devant ce sacrilège. Existerait-il, de nos jours, des criminels plus fanatiques et dangereux que ces gens-là ? La poésie de Jérôme et Jean Tharaud est bien éloignée des vicissitudes de notre triste monde. A leur suite, vous mettrez vos pas dans ceux de la fille au violon, vous siffloterez LBallade du secrétaire du diable  ou, têtes de mule, pourchasserez L’Ane et les pots bavards :
« N’estimant nul bien dans la vie,
Qu’honorer Dieu et la Vierge Marie. ».

Essayez donc de placer cela dans la conversation aujourd’hui !

Un même goût pour la formule lapidaire, pour cet esprit si français.

La paix du chœur m’entraîna, tel la flèche, vers Le Silence de la mer, présenté dans son édition originale parue aux éditions de Minuit. Quatre-vingt-dix pages datées d’octobre 1941, il faisait sale temps alors, dans lesquelles irradie le génie de Vercors. Quelle finesse, quelle actualité dans ce texte qui ne saurait vieillir ! Un officier allemand, que son père avait prévenu en ces termes : « Tu ne devras jamais aller en France avant d’y pouvoir entrer botté et casqué », découvre la terrible réalité sous-jacente au second conflit mondial : « Nous avons l’occasion de détruire la France, elle le sera. Pas seulement sa puissance : son âme aussi. Son âme surtout. Son âme est le plus grand danger ».
Et cette âme, c’est aussi, c’est surtout sa littérature. Que diable laissons-nous faire de nos jours ?

Au point où j’en suis, j’entends au loin le vacarme laissé par une guillotine assemblée à la hâte, un avocat s’impose. Stephen Hecquet fera l’affaire, comme souvent. Anne ou le garçon de verre – Plon récidive ici – est un récit à genre variable, ce que notre époque déifie par manque d’attributs plus virils. Je ne vous apprendrai pas que Stephen Hecquet et Roger Nimier étaient oiseaux de même plumage et proches comme canaris en cage.
Un même goût pour la formule lapidaire, pour cet esprit si français. Hecquet, prononçant l’éloge du Bâtonnier Salle, le 4 décembre 1948 : « L’avenir lui rend si bien justice que ses contemporains, les premiers, s’étonneront d’apercevoir que, loin d’être en retard, Monsieur le Bâtonnier était seulement en avance sur lui-même ». Et voilà Salle comblé. Revenons au récit qui nous occupe. Il revisite avec malice, le trio amoureux : « Dominique m’aimait, que je n’aimais pas, qui n’aimait plus Anne, que j’aimais, qui n’aimait personne, c’est-à-dire tout le monde ». 
L’esprit de Stephen Hecquet mériterait plus de considérations : « La maîtresse, en elle, changeait de partenaire ; comme on change de train. De coïncidence, l’amour devenait correspondance ». Un de ses amis soutenait qu’il fallait prendre les trains qui partent. En voiture, les audacieux !

Abreuvons-nous, pour en terminer, à Fontaine française (édition Rombaldi, première année du règne de Valéry Giscard d’Estaing). Willy de Spens n’est plus lu de nos jours, certains penseront que c’est une chance, je ne partage pas cet avis. Un écrivain aime être lu et c’est le plus souvent pour cela qu’il écrit. Être lu par des cons est un autre débat, bien sûr, plus difficile à trancher.
De Spens, revenons à lui, c’est du cinq étoiles, Le Hussard malgré lui (éditions de la Table Ronde), perdu dans une guerre pas si drôle, c’est lui ! Et Grain de beautéLa Loi des vainqueurs ou encore La Nuit des longs museaux (prix Barthou de l’Académie française). 
Spens ne peut définitivement pas nous laisser indifférent. Fontaine française n’est pourtant pas si facile d’accès, son robinet étant double, chaud et froid… Deux époques, deux fractures bien de chez nous, la Ligue au XVIe siècle et la Milice à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Deux personnages, sur les mêmes lieux, vivaient, à trois siècles et demi d’intervalle, la même aventure. L’ancêtre se réincarnait, en quelque sorte, dans son descendant, mais les réactions de ce dernier étaient modifiées par le contexte de l’époque. » Héritier présomptif (d’aucuns, langues de vipère, siffleront « présomptueux », le monde déborde d’indélicats) de Stendhal, n’écrivait-il « que pour cent lecteurs », tous gens charmants, « point hypocrites, point moraux », auxquels il voulait plaire ?
Dame, il nous appartient désormais de sauver Willy !

                                                                                                                                                                          François Jonquères

 

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