La révolution qu’il faut faire (1/3)

/><b><span/En ces temps de crises – morale, économique, écologique – beaucoup parlent de faire la révolution ou l’appellent de leurs vœux.
Mais attention, si une révolution est nécessaire, méfions-nous de ceux qui prétendent savoir comment la mener et sur quoi elle doit déboucher : ceux-ci ne cherchent pas à voir éclater une révolte spontanée, seulement à diriger les masses vers ce qu’ils jugent être leur bonheur.
Ce genre d’idéologues ont fait beaucoup de tort au mouvement révolutionnaire authentique qui s’oppose à un système jugé opprimant sans prétendre savoir par avance celui qu’il faudrait lui substituer.
La révolution doit se faire contre un état de faits ; elle ne peut présager ce qui adviendra par la suite. Un dossier de CultureMag à suivre cet été…


Cet enseignement, nous le devons principalement à Jacques Ellul, ce penseur hors norme, juriste, théologien, historien et sociologue qui a été un des premiers à saisir en quoi le phénomène technicien était la clé de voûte de nos sociétés modernes et dont les éditions de la Table Ronde ont réédité l’automne dernier un essai prodigieux : Autopsie de la révolution.

Partant d’une analyse historique poussée des phénomènes révolutionnaires, Ellul en arrive au postulat suivant : « c’est seulement dans le monde moderne que paraît à la fois la nécessité de faire des révolutions et l’esprit révolutionnaire. » 1
Par monde moderne, il entend le monde industriel occidental dont la Révolution Française est le point de départ, à la fois origine et référent de la plupart des révolutions qui suivront.

Avant 1789, personne ne remettait en cause le régime mais seulement certaines dérives qui en émanaient. Quand le peuple se soulevait c’était pour lutter contre des injustices, parce que les monarques étaient allés trop loin et que le peuple souhaitait non pas un dépassement de son état mais un retour en arrière, à un temps antérieur où la vie était plus facile.
Il ne faut pas oublier effectivement que le mot révolution provient de l’astronomie et signifie faire un tour sur soi-même;  « la révolution revient au point pré-établi que l’on avait quitté à tort ». Ainsi cite-il Godechot, « la révolution américaine voulait établir la liberté et la démocratie en revenant aux institutions du passé. Elle était révolutionnaire dans la mesure où elle était conservatrice. » 2

1789 : la première révolution moderne

« Cette révolution se situe donc au moment d’un changement radical dans la conception des révolutions : encore faite selon le schéma traditionnel, contre l’histoire, elle est aussi faite pour faire avancer l’histoire vers un absolument meilleur. »
La révolution de 1789 est radicalement différente de celles qui l’ont précédée, bien qu’elle ait éclaté de manière assez semblable par un soulèvement populaire contre les injustices de l’aristocratie, de la monarchie absolue, contre la misère et la faim, parce qu’elle a ensuite servi à nourrir une idéologie. Elle est la première à avoir mené à l’abstraction des concepts, à un Etat rationnel et déjà totalitaire, parce que prétendant tout organiser et diriger.

Pour Tocqueville, le phénomène central de la révolution est la croissance de l’Etat qui va s’ingérer partout afin de prendre en main la vie de ses citoyens. Ellul démontre encore que « la révolution (…) pour résoudre l’injustice établira des institutions de plus en plus pesantes. » Que, parce qu’elle « était l’expression d’une justice à la fois transcendante et immanente elle apparut alors comme la réplique dans l’histoire, dans le présent, œuvre de l’homme, de ce qu’un christianisme avait pressenti en images, dans l’éternité, dans le futur – à savoir un Jugement dernier débouchant sur un Paradis. »

Ainsi la révolution de 1789 est la première des révolutions modernes parce qu’elle a été utilisée et pensée par certains qui ont su profiter du mouvement de révolte populaire pour changer radicalement la société en cherchant à imposer un monde meilleur et utopique.

« Jamais les gouvernements antérieurs n’avaient prétendu remodeler une société toute entière » et c’est bien ce qui fait l’originalité et la dangerosité de cette révolution. Car c’est à partir de ce moment que l’Etat, qui est devenu rationnel, souhaitant imposer sa vision de l’homme et du monde, commence sa lente dérive pour aboutir à la société industrielle et technologique que nous connaissons.
L’Etat est désormais celui qui doit régler tous les problèmes de l’homme, son consolateur, son justicier, son ordonnateur. A partir de ce point historique, à chaque problème humain, l’Etat apportera une réponse sous forme de législation et donc de contrainte.

1 Pour cette citation et les suivantes : Jacques Ellul, Autopsie de la révolution, éditions de la Table Ronde, la petite vermillon, 2008
2 Godechot, Les révolutions de 1770 à 1799, 1965, cité par J. Ellul

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