Le jour où le ciel s’en va

/En matière de critique d’art et de critique littéraire, Jean-Philippe Domecq s’est montré incisif et sans états d’âme. Artistes sans art ? et Misère de l’art avaient fait grincer bien des dents en mettant à nu certaines impostures du monde de l’art contemporain. Qui a peur de la littérature ? fut un essai percutant et qui pouvait laisser deviner en creux un écrivain exigeant.
Il faut donc s’attendre, quand on a le sens de la critique aussi aigu, à ce que l’on nous juge de la même manière, ce qui, après tout, est de bonne guerre.

C’est pourquoi, nous n’hésiterons pas à dire que le dernier roman de Jean-Philippe Domecq, Le jour où le ciel s’en va, est assez décevant. Si l’idée de base est intéressante, l’écriture pèche à maints égards, or qu’est-ce qui différencie un bon roman d’un moins bon si ce n’est son écriture : sa réalisation ?

Jean-Philippe Domecq continue, dans ce deuxième roman du cycle de « La vis et le sablier » entamé par Cette rue, l’exploration de la vie quotidienne de ses semblables en faisant pénétrer le lecteur dans la conscience des personnages à travers la banalité de leur vie, jusqu’au moment où un événement la fait basculer.
Ce qui intéresse Domecq semble être ce moment antérieur au basculement, cet instant où la vie suit encore son cours normal, monotone, avant d’être bouleversée.
Avec Le jour où le ciel s’en va, il ne raconte pas tant la violente rafale qui sèmera la panique sur une plage au beau milieu de l’été, que tout ce que les gens de la plage et alentour faisaient juste avant, sans avoir conscience qu’un bouleversement allait advenir.

Il y a de très beaux passages dans ce roman, lesquels frustrent d’autant plus le lecteur qu’il sent que lorsqu’il se laisse aller à son écriture, Jean-Philippe Domecq est capable d’atteindre dans les dialogues et la conversation intérieure des personnages une vraie profondeur, de toucher à la grâce de la poésie mais qu’au nom d’on ne sait quel obscur désir d’écriture absolument moderne et orale, il contient son style, étouffe son plaisir – et le nôtre avec – massacre ses phrases pour les hacher de « Bon, voilà ! Enfin…Quoi ! Bref… Et voilà ! », d’une armada de points de suspension, tirets, double points, parenthèses qui font penser à cette espèce d’alphabet minimaliste et indigeste que la plupart des adolescents et affiliés ont adopté pour rédiger leurs SMS ou leurs messages électroniques et, franchement, cela fatigue !

Outre cet embryon de langage qui semble être fait pour éviter d’avoir à dérouler une phrase, les points de suspension et les phrases sans verbe, sans fin, censées être là pour laisser au lecteur la possibilité de faire le travail à la place de l’auteur – ce qu’il n’a aucune envie de faire car ce n’est pas son rôle -, les répétitions des mêmes termes, mêmes mots, mêmes bouts de phrases à chaque page – sauf exceptions – sont lassantes et n’apportent rien au récit, rien à l’ambiance du roman, les desservant plus exactement.

Au final, la lecture de Le jour où le ciel s’en va épuise, et l’on y retourne par devoir plus que par plaisir car on se dit qu’il doit y avoir là une volonté secrète qui nous échappe, qu’un esprit aussi brillant ne peut pas se fourvoyer de telle manière.
Mais on en conclue qu’il s’est bien fourvoyé !
Jean-Philippe Domecq s’est astreint à rendre une langue orale à l’écrit, cette entreprise est un échec; les meilleurs passages sont ceux qui sont vraiment écrits, dans une langue maîtrisée, et tout le reste n’est que scories gangrenant un texte qui aurait pu être plaisant.

Jean-Philippe Domecq, Le jour où le ciel s’en va, Fayard, 221 pages.

1 Comment

  1. Voilà une critique littéraire honnête tout à l’honneur de son auteur.
    Car aujourd’hui, les critiques des copains et cousins journalistes (notamment dans le domaine culturel) ne sont pas faits pour servir les auteurs.
    C’est vrai que Jean-Philippe Domecq a des qualités de plume. Mais c’est vrai aussi qu’elles ne s’affirment dans ses livres que par des passsages. Toujours trop courts. Ce sont même parfois de très beaux passages. Je me souviens notamment d’une séquence somptueue où l’on voit Robespierre en train de se faire pouder devant un miroir, avec un grand cornet de papier. C’est original et magnifique ! nous sommes transportés au XVIIIe siècle, derrière la perruque du fameux révolutionnaire, découvrant avec étonnement la technique des maquilleurs ou barbiers de l’époque.
    Hélas, il me semble que le fin critique de l’art con(temporain), quand il s’agit de faire l’artiste, c’est-à-dire d’écrire des fictions, des romans, ne soit lui-même piégé à chercher le créneau par lequel afficher sa participation à la « modernité »… et forcément, c’est-là tomber dans la même ornière dans laquelle se fourvoient les pseudo-artistes de l’art con qu’il dénonce. Domecq a un talent de plume mais il lui met une muselière pour endosser les manies et les tics du dandisme con-temporain. Pourquoi ? Parce qu’il rêve secrètement de snobisme, de soirées mondaines, de parisianisme… ? Les fantasmes sont parfois de bien encombrants boulets…

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