Le « nouveau Rimbaud » est né, Grasset l’a trouvé !

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À quoi jouent les éditions Grasset ? L’an dernier, déjà, ils nous vendaient comme un premier roman génial, Requiem pour Lola rouge de Pierre Ducrozet, 28 ans. Cette année, ils ont dégoté mieux, c’est-à-dire plus jeune : Marien Defalvard auteur d’un premier roman, Du temps qu’on existait, à 18 ou 19 ans.
En réalité l’âge diffère selon le communiqué de presse et la quatrième de couverture mais l’auteur dit avoir écrit son livre entre 2007 et 2008. Époustouflant !

Dix-huit ou dix-neuf ans, on ne va pas chipoter, me direz-vous. Je suis d’accord : on devrait se fiche de l’âge de l’écrivain et s’intéresser à son texte sous peine de tomber dans la performance sportive. Comme le disait Aragon en substance à propos de Rimbaud : le plus étonnant n’est pas qu’il ait écrit de tels textes si jeune mais qu’il les ait écrits.
Donc, si l’âge ne fait pas le génie, qu’avons-nous à faire que Marien Defalvard soit si jeune ? Il se trouve que c’est sur son âge qu’on compte vendre son livre. Un écrivain de 18 ans qui publie chez Grasset, vous rendez-vous compte ? C’est le nouveau Radiguet, le nouveau Rimbaud, le nouveau Lautréamont, que sais-je ?

Si l’on se réfère à la revue de presse que Pierre Ducrozet affiche sur son site Internet, il est comparé dans le Figaro littéraire tour à tour à Rimbaud, Baudelaire et André Breton. Dans Le Point on invoque les ombres de Rimbaud et de Lautréamont, dans Le Soir celles de Lewis Carroll et Serge Gainsbourg, dans Le Dauphiné libéré Lautréamont, Breton et Michaux et dans La vie littéraire Kerouac, Burroughs, Rimbaud, Breton, Coupland et Ellis.
Tout ça doit peser lourd sur les épaules d’un seul homme ! On pourrait croire que Grasset a mis la main sur un nouveau Proust, un petit siècle après. Malheureusement Requiem pour Lola rouge n’a rien de La Recherche du temps perdu. C’est gentillet, les deux premières phrases sont même sympathiques :

« J’en étais alors à me regarder pousser les cheveux. Le soleil commençait à m’emmerder sérieusement, et la pluie aussi. »
Ce sont même ces deux premières phrases qui m’ont donné l’envie de lire ce roman ; j’aurais pourtant dû m’en tenir là et c’est ce que je vous conseille de faire car après, c’est le néant. Une sorte de délire onirique incompréhensible, sans queue ni tête, qui permet aux journalistes auxquels demeurent deux ou trois vagues notions d’histoire littéraire de convoquer le surréalisme et Rimbaud. On n’y comprend rien, c’est surréaliste, donc c’est génial. Fermez le ban !

Non ce n’est pas génial, c’est ennuyeux et il y a tant de bons auteurs à lire.

Pour Marien Defalvard, même le Magazine littéraire n’ose plus convoquer Radiguet ou Rimbaud tant les ficelles sont grosses. On n’hésite pourtant pas à comparer son style à celui d’Aragon. Rien que ça ! Mais jugez-en par vous-mêmes, voici les premières lignes de ce qu’on n’hésite pas à qualifier de « très bon premier livre » :

« Ça commence à Coucy. Coucy-le-Château-Auffrique. Dans l’Aisne, aux derniers renseignements, en Picardie. Donc, ça a commencé là-bas, dans la beauté de son écrin. Le ciel n’était pas roux, pas gris, pas noir, mais bleu, un grand bleu de fiançailles. »

C’est plutôt coucy-couça, comme début, non ? « Aucun gamin de 19 ans ne peut écrire comme ça ? » Mais si, la preuve. Admirez la redondance des phrases nominales, ça fait Duras un peu, ou plutôt Anna Gavalda, enfin quelque chose de moderne. Et puis cette magnifique métaphore : « dans la beauté de son écrin. » L’écrin de qui, de quoi ? Pourquoi la beauté ? T’occupe, c’est surréaliste, tu ne comprends rien à la poésie, inculte ! Au moins on sait que le ciel était bleu, qu’il n’était pas roux (vous avez déjà vu des ciels roux, vous ?), pas gris, pas noir, pas jaune, pas cuivré, pas brun, pas chauve, non : un grand bleu de fiançailles. Pourquoi de fiançailles ? Ta gueule !

Bon, passons à la suite, tournons cinq pages : « Il est né. Il a vécu. Puis les choses se sont liquéfiées, comme une déroute. Avant, c’était beau temps pour un souvenir. Il mène une vie sans étoile. Ses seuls petits plaisirs ? Avant encore. Très avant. Où sont-elles passées, les pléthores de collines, les pléiades de nuages, les myriades de boutons d’or, les kyrielles de zéphyrs ? Où sont-ils, les beaux jours ? Loin, très lointains, au paradis froissé mais doux. Les nuages tirés à la cordelette, méticuleux ; leur guillochis clair. La clarté parfois. »

Chez Marien Defalvard, la déroute est quelque chose de liquide. Bon, à la limite. Et vous, votre vie, vous la préférez comment : avec ou sans étoile ? Quels sont vos seuls petits plaisirs ? Avant, très avant. On se croirait presque dans Le journal d’un fou de Gogol.

En tout cas, une chose est sûre, c’est que Marien a du vocabulaire, il en a plein les mains, plein la bouche de ces petits mots étonnants, délicieux : pléthores, pléiades, myriades, kyrielles, zéphyrs. Et guillochis ? Ignorant ce mot, j’en ai cherché la définition dans le Trésor de la Langue Française Informatisé : « Motif formé d’un entrecroisement de traits gravés en creux avec symétrie. L’exemple cité est extrait d’une phrase de Chateaubriand : « Tous ces édifices (…) sortaient des mains de l’ouvrier : l’œil, dans la blancheur de leurs pierres, ne perdait rien de la légèreté de leurs détails, de l’élégance de leurs réseaux, de la variété de leurs guillochis. » Evidemment, c’est beaucoup plus basique que chez Defalvard.

Toute cette dépense de vocabulaire recherché me rappelle un cours du temps de mes lointaines études pendant lequel notre professeur de langue française nous expliquait qu’on avait comptabilisé le nombre de mots de vocabulaire de l’œuvre des grands écrivains. Chez Racine, cela tournait autour de 800, chez Flaubert pas beaucoup plus tandis qu’une journaliste contemporaine dont j’ai oublié le nom en affichait plusieurs milliers. Morale de l’histoire : ce n’est pas à la richesse du vocabulaire qu’on juge de la profondeur d’une œuvre. Au contraire, ce vernis sert souvent à couvrir la nullité du propos.

Allez tiens, si on sautait un paragraphe, rien qu’un petit :

« Mais se souvenir, au moins, ce seront un poireau, et une conserve, dans le cabas de la vie. (Quelle poésie ! Quelle métaphore, ça donne le vertige : une conserve dans le cabas de la vie.) Alors il va falloir trouver la sincérité de l’existence. On est bien. On est bons. On est partis. »

On s’arrête là ? Non, allez encore une dernière, au hasard. Ce qui est absolument génial avec ce livre, c’est qu’il suffit de prendre une page au hasard pour se payer un fou rire d’une bonne demi-heure.

« Ecrire me démangeait d’années ? (sic !) Je sortais peu, car chaque excursion était intenable, le ciel était telle année, la rue tel moment, une voiture me rappelait ceci, une enseigne cela, un vêtement autre chose, une fontaine au soleil m’emmenait il y a quinze ans, un jardin public sous la pluie il y a vingt et je franchissais trente années quand je prenais la voiture le dimanche après-midi, par les forêts. J’avais un jour dix-neuf ans, un jour trente-deux, un jour quatorze, un jour j’avais cinq ans et je dormais dans les bras de ma mère, et bientôt de nouveau j’allais dormir, et là il n’y aurait plus aucun souvenir, puisqu’il n’y aurait plus de vie du tout. »

Évidemment, Proust n’a plus qu’à aller se rhabiller ! Quand je pense que sa Recherche du temps perdu lui a demandé 2500 pages alors que Marien Defalvard a résumé mieux que lui en un paragraphe la grande énigme du temps et de la mémoire. Il faut dire que Proust n’a pas écrit sa Recherche à 19 ans. A cet âge-là il perdait déjà son temps à écrire cet affreux navet : Les plaisirs et les jours. Navet ou poireau, de toute façon ce n’est qu’un souvenir dans le cabas de la vie…

« Mélancolique et satirique, virtuose et touchant, voici l’éblouissant premier roman d’un jeune homme qui semble avoir mille ans. » C’est en ces termes que l’éditeur présente – sans rire – le roman de son nouveau génie. Si on me demandait mon avis, j’aurais d’autres épithètes pour le qualifier, mais je les garde pour moi car le propos n’est pas d’attaquer ce pauvre Marien qui, à tout juste 19 ans, sert de faire-valoir à des éditeurs sans scrupule qui le vendent comme un génie précoce, comme un objet spectaculaire tout en expliquant qu’il semble avoir mille ans. À sa place je le prendrais plutôt mal. Quand Baudelaire écrit « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » ce n’est pas pour flatter son ego.

Qu’on cesse donc de nous faire croire chaque année qu’un nouveau Rimbaud est né. Ce genre de génie éclos deux ou trois fois par millénaire et toujours dans l’obscurité. Alors qu’importe si Marien Defalvard n’est pas Rimbaud, il maîtrise les rudiments de l’écriture, c’est déjà bien. Qu’il vive et qu’il mûrisse un peu, pour avoir de quoi raconter. Qu’il travaille et patiente.
Balzac disait qu’il lui avait fallu dix ans pour apprendre à écrire, Baudelaire aussi. Que Marien Defalvard attende une dizaine d’années pour publier son prochain roman, ça lui évitera peut-être de verser dans le poncif facile, dans le gnangnan et la métaphore tirée par les cheveux.
Par la même occasion, ça évitera aux éditions Grasset de gâcher leur argent et des tonnes de papier. Respectons notre planète à la fin !

Marien Defalvard, Du temps qu’on existait, Grasset, 371 pages.

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