Sérotonine de Houellebecq

Ce qui fait que Sérotonine, le dernier roman de Michel Houellebecq est grand, c’est qu’il expose sans avoir besoin de démontrer. Dans son Journal de la Roue rouge, Soljenitsyne note : « la meilleure devise de l’écrivain c’est : je ne juge pas, je raconte. »
Michel Houellebecq ne juge pas, mais il nous donne les armes pour juger nous-même cette société qu’il dépeint, à travers quelques personnages plongés dans certaines situations qui n’ont rien d’extraordinaire ou d’invraisemblable, tout au contraire.

Ce qui fait que Michel Houellebecq mérite notre admiration, c’est qu’il a toujours mis les mains dans le cambouis – avec un plaisir malsain prétendent certains, mais ce n’est pas si sûr. Il s’est frotté au réel comme peu ont eu le courage de le faire ; à la réalité nihiliste, mortifère, désespérante de l’époque.

Désespéré, ce roman l’est jusqu’à la dernière page. Il est d’une noirceur insondable, terriblement déprimant, mais pas désespérant. Car si le monde dans lequel nous vivons est tel que Houellebecq le décrit – et il est peut-être encore plus sombre et malsain pour certains – il n’y a plus qu’à espérer qu’un dieu nous sauve, comme disait déjà Heidegger.

A la lecture de Sérotonine, il apparaît avec une clarté aveuglante qu’il n’est aucune raison qui vaille que l’on vive. Le sexe est triste, et même abject. L’amour humain lasse, et puis passe. Les amitiés ne tiennent pas, se délitent avec le temps. Les biens matériels ne valent rien, et l’ataraxie qu’offrent les nouveaux antidépresseurs permet tout juste une vie au rabais, une vie sans désir, une vie de mort-vivant. Il n’y a donc aucune raison de continuer à vivre et à perpétrer une espèce qui détruit tout, à commencer par elle-même. Le jeune aristocrate qui prétend se battre pour une agriculture noble et raisonnée en fait l’amère expérience. Contre la froide bureaucratie bruxelloise et les intérêts du monde capitaliste, on ne peut que perdre.

Tout est noir, désespéré. Selon toute raison, nous dit Houellebecq, nous avons perdu ; la France meurt, l’Europe atteint le crépuscule de son déclin, le monde crève. La froide et pure raison le dit et le prouve. Toutefois, n’y a-t-il pas autre chose ? Comme une foi encore possible et qui – parce qu’elle prétend soulever les montagnes – saura pourfendre la raison raisonnante ? Sérotonine fait écho à Soumission mais porte une autre voix. Là où le romancier proposait l’islam comme alternative probable à l’extrême-droite honnie, il entrouvre ici la possibilité de la grâce salvatrice contre le nihilisme libéralo-capitaliste. L’islam n’était pas une solution valable ; la dernière page de Sérotonine laisse penser que le Christ peut en être une. Lire ce roman, c’est être mis face à un choix radical : la corde ou la Croix ?

Matthieu Falcone

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.