La belle étoile

/La belle étoile est peut-être le plus beau roman de Jean Védrines.

Dans son précédent roman, L’Italie la nuit, Giovan l’exilé racontait les voyages au pays de ses ancêtres, cette Italie mangée par le soleil. C’étaient de petites anecdotes, des réminiscences décrites dans ce désordre que crée la mémoire affective, involontaire. Avec La belle étoile, son enfance au pays de Bourbon, au bocage humide et pluvieux, la narration retrouve la linéarité de l’enfance, la voix simple et fraîche qui donne à l’écriture sa pleine maturité.

Il aura fallu qu’un enfant s’en empare pour que cette langue originale, patiemment mise au monde, livre après livre, prenne toute sa dimension, confère au récit une totale harmonie.
Car la langue façonnée par Jean Védrines, obscure, rocailleuse, pudique, parfois déconcertante mais dans laquelle on se perd toujours avec ravissement, doit autant aux échos d’une enfance dans le Bourbonnais, qu’à cette Italie du sud qui lui est devenue une seconde patrie, la « patrie imaginaire » comme il l’appelle.

Jamais les Pouilles ne sont loin de lui et si La belle étoile se vit dans le bocage de son enfance, les souvenirs du jeune Giovan ressuscitent magnifiquement la ville lumineuse et sèche de Foggia, abandonnée par la volonté d’un père dont il aimerait percer le secret et qui se contente de lui donner pour réponse de belles pirouettes narratives de ce genre : « Le père, il est venu ici parce qu’il aime l’eau, les averses. Et le vent d’ouest, aussi, qui souffle tout le temps, aux Bourbons, et qui est trempé, gorgé de pluie, une éponge. » Comme si un enfant pouvait croire qu’on n’a pas de plus grandes et mystérieuses raisons de quitter sa famille et sa patrie que de venir trouver la pluie et ce mépris qui est le lot de l’immigré pauvre, déshérité.

Le plus grand talent de Jean Védrines réside dans cette habileté à décrire une atmosphère et faire surgir des images, à faire sentir et éprouver la sécheresse, le soleil qui tape fort sur la terre et les crânes, ou la pluie qui envahit tout, la rivière qui apparaît soudain comme une jeune femme, magnifique, effrayante.

En réalité, ce roman est un très bel hommage, dans la veine de Céline ou de Giono, que l’auteur aime à citer, à la langue du peuple, la langue du pauvre, Italien ou Français, dont les formulations et les inépuisables métaphores sont, avec l’attachement à la terre, les vraies, les authentiques richesses.
C’est aussi, semble-t-il, un hommage à son père – il avait rendu hommage à l’aviateur Jules Védrines son grand-père dans L’oiseau de plomb – et, à travers lui, à tous les ouvriers résistants et révolutionnaires qui auront cru que la bourgeoisie pouvait être écrasée et un véritable communisme, probe et vertueux, établi. Un hommage à cet esprit révolutionnaire qui s’est peu à peu évanoui avec les illusions, avec la fierté ouvrière, qui s’est peut-être définitivement noyé dans le soulèvement de mai 68, insidieusement récupéré par la bourgeoisie qui aurait dû en faire les frais et a achevé de se discréditer avec les brigades rouges.

La France rurale et paysanne avait trouvé sa voix en Pierre Bergounioux, Richard Millet, Pierre Michon, Marie-Hélène Lafon ; Jean Védrines incarne celle des ouvriers, ces autres grands déshérités du XXe siècle, cette autre classe qui achève de se dissoudre dans l’anonymat qui apparaît comme le visage du nouveau siècle.

Jean Védrines, La belle étoile, 348 pages, Fayard.

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