Dies Solemnis, le Grand Sacre d’Angers

/… Superbe démenti à quelques idées reçues !
La paradoxale exposition Dies Solemnis, ouverte à Angers depuis la mi-septembre, apporte un cuisant désaveu aux apriori entretenus depuis des lustres sur  l’Art sacré.

D’emblée, le choix du titre résonne  d’une façon singulière pour provoquer l’étonnement.
Ensuite, le thème abordé, la procession de la Fête-Dieu, pourrait sembler un sujet tout à fait dirimant, condamné à une indifférence générale.

Si un tel jugement, à l’emporte-pièce, s’avère, dans les faits, tout à fait erroné, on peut se demander si le regain d’intérêt envers l’art religieux, que l’on voit refleurir un peu partout, apparaît comme une réelle surprise ou s’il manifeste tout simplement une aspiration récurrente. L’Art sacré n’aurait alors rien perdu de ses lettres de noblesse !

En effet, depuis quelques semaines, plus de 10 000 visiteurs déjà sont venus dans la magnifique collégiale Saint-Martin pour revivre l’étonnant spectacle que la ville d’Angers -six siècles durant et jusqu’en 1968- a donné chaque année dans ses rues, ses édiles en tête, au milieu de toute la population angevine.

Une magistrale procession de la Fête-Dieu, le Grand Sacre, est apparue à Angers au XIVe siècle. Son déroulement, scrupuleusement codifié en 1513, intègre jusqu’en 1791 dans un immense cortège réunissant des milliers de fidèles douze théâtres ambulants, promenant sur des chars (les torches) portés à dos d’homme des figures de cire grandeur nature illustrant les grands épisodes de la vie du Christ ou de l’Ancien Testament. A la fin de l’interminable défilé, réunissant les corporations des métiers, les ordres religieux, le chapitre de la cathédrale, l’ostensoir et son hostie étaient promenés par toute la ville, suivis à pied et chapeau bas par le gouverneur de la cité et le représentant du Roi.

Au sortir de la tragédie révolutionnaire, dès 1803, la cérémonie est reprise avec un caractère religieux cette fois plus marqué. Tout au long des XIXe et XXe siècles, elle s’amplifie presque jusqu’à la démesure, par le nombre de participants, la magnificence des reposoirs, l’exubérance des rues toutes pavoisées et la présence des autorités constituées au grand complet.

Pour trois mois, est donc ressuscité sous les voûtes de la collégiale Saint-Martin, dans la majesté et le faste de son déploiement, tout le cortège de la procession avec ses ornements chatoyants, ses brocards précieux, ses chapes aux orfrois polychromes, ses lourdes bannières historiées tissées de fils d’or, ses croix de procession, chefs d’œuvre d’orfèvrerie, l’imposant ostensoir d’argent doré abrité sous son dais cramoisi brodé d’or, orné à ses quatre angles d’aigrettes en plumes d’autruche, symbole immuable d’une autorité bien supérieure à celles établies par les hommes pour régir leur destin.

Voilà encore les tapisseries d’Aubusson du XVIIe siècle qui paraient les murs de la cité tout au long du parcours ; les tentures, les étendards multicolores, les banderoles festonnées qui ornaient les façades des maisons.

Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas là de vieilles guenipes de sacristie usées et dépareillées dont l’Église a bien eu raison de se défaire !

Quoique discrète, l’industrie du « luxe pur Dieu » est loin d’être éteinte.

Comme le montre le superbe (et très accessible) catalogue de l’exposition conçu par Guy Massin-Le-Goff, conservateur des Antiquité et des Objets d’Art du Département du Maine-et-Loire, la paramentique, c’est à dire l’art du vêtement liturgique, a produit au cours des siècles d’incomparables chef d’œuvres réalisés par d’exceptionnels tisserands, d’industrieux brodeurs –souvent des hommes- , des créateurs inventifs ; demandant à chacun non seulement un savoir-faire inouï mais des milliers d’heures de travail et de minutieuse attention.

Ce serait perpétuer la même erreur en pensant qu’un art aussi noble aurait disparu, emporté avec Mai 68 et ses fâcheuses conséquences. Quoique discrète, l’industrie du « luxe pur Dieu » est loin d’être éteinte.

Avec beaucoup d’intelligence, l’exposition démontre le contraire en s’achevant sur quelques-uns des ornements liturgiques exceptionnels, nés d’une authentique création contemporaine, réalisés pour Jean-Paul II à l’occasion du jubilé de l’an 2000.

Fi de nos idées préconçues ! L’exposition d’Angers n’est pas un fait unique.

Depuis le mois de mai, en effet, jusqu’au 24 décembre 2011, avec une réussite comparable, le Musée de la Visitation de Moulins propose à ses visiteurs un sujet identique : De l’Ombre à la Lumière, mécénat et dons précieux à la Visitation.
Le succès est tel que le catalogue a été épuisé au bout de quelques jours.

L’an prochain, en décembre, l’Arche de la Défense servira de cadre une exposition intitulée cette fois Trésor du Saint-Sépulcre pour permettre au public d’admirer 400 des plus belles œuvres d’un trésor liturgique inconnu, constitué de fabuleux présents envoyés à Jérusalem par les souverains européens depuis le début du XVIIe siècles.
200 000 visiteurs sont attendus.

Mais l’engouement pour notre thème est plus vaste encore.

Le Grand Pardon organisé depuis le XVe siècle tous les 5 ans environ dans la ville de Chaumont (Haute-Marne) réunissait, dans sa dernière édition de 2007, plus de 30 000 personnes. Un succès aussi comparable attend les Alsaciens, le 13 novembre 2011, à Niederhaslach,  pour le pèlerinage de saint Florent qui perdure quant à lui depuis douze siècles. Bien d’autres exemples aussi entrainants pourraient être évoqués.

En cherchant à classer ces manifestations populaires ancestrales dans des concepts trop étriqués réduits à de vulgaires démonstrations sociologiques pour mieux les faire disparaître, force est de reconnaître la vitalité de ces témoignages et la profondeur des racines qui les font se perpétuer indépendamment des grincheux. Ils brassent tout simplement, souvent dans un joyeux désordre, tradition culturelle, tradition religieuse et foi chrétienne.

Mais revenons à Angers. En cherchant à démêler, en 1968, l’ivraie du bon grain qui croissaient allégrement depuis six cents ans au bord des chemins empruntés par le Grand Sacre dans les rues de la ville, le clergé local, en choisissant d’interrompre cette tradition, ne s’est-il pas fourvoyé lui aussi en succombant à une tentation trop humaine, dans l’oubli du sens de la parabole évangélique ?

Voilà qui laisse un bel avenir à ces héritages séculaires que l’on croyait définitivement éradiqués !

Car gageons qu’il y aura dix fois plus de visiteurs à la collégiale Saint-Martin dans les prochaines semaines que de spectateurs aux bruyantes pièces de théâtre si médiatisées et parrainées, en cette fin d’année, par le « divin » maire de Paris et les services du Ministère de la Culture, Sur le concept du visage du fils de Dieu, Golgotha picnic et Le Vicaire toutes trois réunies.

Alors, 10 000 visiteurs en quatre semaines d’ouverture, n’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour ressusciter le Grand Sacre l’an prochain, le jour de la Fête-Dieu, mais cette fois dans les rues de la cité de saint Aubin ?

Pratique :

Dies Solemnis, le Grand Sacre d’Angers
17 septembre 2011 – 8 janvier 2012
Collégiale Saint-Martin
23 rue Saint-Martin
Angers
Tél. : 02 41 81 16 00
Info-collegiale@cg49.fr

Tous les jours sauf le lundi de 13 h à 18 h
Fermé les 1 et 11 novembre, 25 décembre et 1er janvier

Adulte : 5 euros , tarif réduit : 4 euros
Visites commentées très conseillées, samedi et dimanche à 15 h

Catalogue de l’exposition, 336 pp. 29 euros.
Splendide ouvrage superbement illustré.

De l’Ombre à la Lumière, mécénat et dons précieux à la Visitation
7 mai- 24 décembre
Musée de la Visitation
4, Place de l’Ancien Palais
Moulins
Tél. : 04 70 44 39 03

Du mardi au samedi : 10 h-12 h et 14 h-18 h
Dimanche : 15 h-18 h

Entrée libre.

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