Le 12 septembre dernier, on a commémoré en France et ailleurs, le 250e anniversaire de la mort à Paris de Jean-Philippe Rameau, né à Dijon, le 25 septembre 1683.
Pour l’occasion, un comité de personnalités du monde musical s’est réuni sous la coordination du Centre de Musique baroque de Versailles, pour organiser l’Année Rameau, un ensemble de manifestations de prestige présentant des concerts, des spectacles et des expositions, principalement à Dijon, Lille et Versailles.
Dans la Bibliothèque municipale de cette dernière, une magnifique exposition est présentée dans les cinq salons d’apparat de la Galerie des Affaires étrangères de Louis XV. Dans une scénographie de Jérôme Dumoux qui a su admirablement jouer des structures décoratives de la galerie, le commissaire de l’exposition, Benoît Dratwicki assisté du Centre de Musique baroque de Versailles, sont évoqués des moments majors de la vie et de l’œuvre du compositeur : sa période parisienne, son Traité d’harmonie, le salon de son protecteur Alexandre de La Pouplinière, les théâtres dans lesquelles ses œuvres ont été crées, à travers des gravures, des dessins, des maquettes de décors, des tableaux, des objets, des livrets et des partitions, des instruments de musique dont un magnifique clavecin peint à deux claviers de 1716.
L’exposition est naturellement accompagnée d’un ensemble de spectacles et de concerts donnés dans la somptueuse salle de l’Opéra royal, la Chapelle royale et la Galerie des Glaces du château tout proche.
La programmation des ouvrages a été confiée à Château royal spectacles, la filiale privée du château, créée pour exploiter l’opéra et la chapelle dont c’est la sixième saison dans l’Opéra royal, en coordination avec le Centre de musique de Versailles.
Elle ont ainsi été programmées dans la salle de l’opéra construit sous Louis XV à l’extrémité de l’aile nord par Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du Roi, en versions scéniques ou de concert, Les Boréades, œuvre posthume de Rameau, Le temple de la gloire, Zaïs, des Grands motets de Rameau et de Mondonville, le Requiem sur Castor et Pollux dans la Chapelle royale, et un Gala Rameau réunissant des œuvres variés de Rameau, dans la Galerie des glaces.
Toutes ces soirées ont été interprétées par de grands artistes dirigés par des chefs prestigieux. Ces concerts auront permis de faire découvrir parfois au public de l’Opéra royal, la magnifique salle décorée par Louis-Jacques Durameau qui a représenté au plafond, Apollon distribuant des couronnes aux Muses, et les douze petits plafonds de la colonnade. Ils s’harmonisent avec le décor en faux marbre de l’ensemble de la salle, ses bas-reliefs dorés des loges des deux étages par Augustin Pajou. Construit entièrement en bois pour le mariage du futur Louis XVI avec l’archiduchesse Marie-Antoinette, le théâtre résonne comme un violon.
Il convient donc de rappeler que nombreux sont ceux qui considèrent Jean-Philippe Rameau comme le « père de la musique française classique » dont il fut le théoricien en réaction contre la musique italienne dont les canons s’imposèrent jusque tardivement dans le XVIIIe siècle.
Au début du XXe siècle, des maîtres de l’Ecole françaises comme Vincent d’Indy, Claude Debussy, Albérix Magnard et Déodat de Séverac, parmi d’autres, le reconnurent même comme le chef de l’Ecole française. Après un long purgatoire, c’est à cette époque qu’on a redécouvert son œuvre, grace à des initiatives comme celle de Charles Bordes qui fit remonter les 2 premiers actes de Castor et Pollux sous la direction de Vincent d’Indy.
Lors de ce concert, un auditeur dans le public aurait lancé « A bas Gluck ! Vive Rameau ! » qui inspira à Claude Debussy, sa chronique musicale du Gil Blas en date du 2 février 1903. Il y regrettait que ses compatriotes ne connaissent pas Rameau à cause « de cette sentimentalité partticulière au peuple français qui le pousse à adopter frénétiquement aussi bien des formules d’art que des formes de vêtements, qui n’ont rien à faire avec l’esprit du sol. » Il y rendait au contraire hommage à Rameau auquel Gluck fut redevable au siècle suivant.
Rien n’a changé de nos jours. Les Français sont toujours marqués du syndrome de la chèvre de Monsieur Seguin. L’herbe est toujours meilleure dans le champs d’à côté ; d’autant plus s’il est éloigné.
Debussy rappelait que la France avait alors « une pure tradition française dans l’œuvre de Rameau, faite de tendresse délicate et charmante, d’accents justes, de déclamation rigoureuse dans le récit, sans affectation à la profondeur allemande, ni au besoin de souligner à coups de poings, d’expliquer à perdre haleine, qui semble dire : « Vous êtes une collection d’idiots particuliers, qui ne comprenez rien, si on ne vous force.
On peut regretter tout de même que la musique française ait suivi, pendant trop longtemps des chemins qui l’éloignaient perfidement de cette clarté dans l’expression, ce précis et ce ramassé dans la forme, qualité particulières et significatives du génie français. » Pour celui qu’on a appelé « Claude de France », la musique française dont il fut un des chefs d’école avec d’Indy est indissolublement liée à la création de Jean-Philippe Rameau. Il n’était pas le seul à le constater et rendit hommage au vieux maîtres en composant un Hommage à Rameau.
La Sonatine de Ravel en subit l’esprit ainsi que le Tombeau de Couperin et Déodat de Séverac composa un Parc aux cerfs dont seule subsiste La Lettre à Couperin., et les Stances à Madame de Pompadour selon Blanche Selva.
Nous savons en fait assez peu de choses du Parc aux cerfs. L’idée de sa composition participe du goût à l’époque pour le retour aux formes et à l’esprit classique des XVII et XVIIIème siècles qui embrassa toutes les formes de l’art. Après la redécouverte de la musique ancienne entamée par Choron (1771-1830), Niedermeyer (1802-1861) et Charles Bordes (1863-1909), la recherche s’organisa en faveur de la musique classique.
A la redécouverte de la musique religieuse s’ajouta la recherche du répertoire des maîtres anciens du clavecin. Le pianiste Joaquim Nin et la claveciniste Wanda Landowska furent les héros de cette nouvelle quête. Séverac ne fut pas épargné par la mode.
De fait, le XVIIIe siècle prend une grande place dans son œuvre. Cortot signale « la présence caractéristique dans la plupart des réalisations pianistiques de Séverac de ces mordants, de ces appoggiatures brillantes qui sont si proches des notes d’agrément de nos anciens clavecinistes. » Dans la Sonate pour piano, un thème de menuet traverse l’œuvre.
En 1905, il harmonisa des Chansons du XVIIIe pour l’Anthologie des Chansons de France.
En 1907, outre le Parc aux Cerfs, la Lettre à Couperin et les Stances à Madame de Pompadour, il harmonisa Philis, un rondel du XVIIIème. En exergue à Aubade, il demandait de « chercher une sonorité d’épinette ». Sa célèbre mélodie Ma Poupée chérie est écrite dans un style qui rappelle les chansons du XVIIIe. Quant au Cœur du Moulin, si la musique n’a rien à voir avec celle, sinon populaire, du XVIIIe siècle, l’action se situe à cette époque.
Philis, dont nous venons de parler, est un rondeau d’après un manuscrit de Mondonville, donc du XVIIIe siècle et dans l’esprit de Rameau. Le compositeur Joseph Canteloube a décrit ainsi la musique de Séverac :
« Clarté de forme, sobriété de moyens, sincérité d’expression, esprit, intensité de coloris, tels sont les qualités de sa musique. (…) elles font de lui le vrai continuateur des Lully, des Rameau, des Couperin et des Bizet. »
L’héritage était passé par Chabrier qui marqua profondément le trio Debussy, Ravel, Séverac, comme l’avait fait remarquer César Franck à l’issue de la création des pièces pittoresques de Chabrier à la Société Nationale de Musique en déclarant : « Cette musique relie notre temps à celui de Couperin et de Rameau. »
D’autres compositeurs français peuvent se revendiquer de Rameau, même s’ils peuvent également en appeler de l’héritage wagnérien ; mais quel compositeurs français n’a pas été touché par le mage de Bayreuth ? y compris chez ses pires détracteurs, comme Debussy et Séverac. Alberic Magnard est de ces ramistes qui ont reconnu leur dette.
Aux côtés de Paul Dukas, il milita pour une édition complète du compositeur de Louis XV. Pierre Lalo a reconnu que sa musique rendait « un son français » comme celle de Jean-Philippe Rameau, suivi par Gustave Samazeuil qu’il était « un héritier du grand Rameau, son art est de vraie essence française » parlant en 1915 d’un « Rameau qui aurait lu Parsifal. »
Jean-Bernard Cahours d’Aspry
Pratique :
Informations générales sur l’Année Rameau :
www.rameau.2014.fr réalisé par le Centre de Musique baroque de Versailles.
Exposition Rameau et son temps, Harmonies et lumières
Du mardi au vendredi de 14 h à 18 h, et le samedi de 10 h à 18 h
Bibliothèque Municipale,
5, rue de l’Indépendance américaine.
Jusqu’au 3 janvier 2015.
www.rameau2014.fr/index.php/Expositions
Poster un Commentaire