La révolution qu’il faut faire (2/3)

/><b><span/Suite de notre dossier consacré à la Révolution. A suivre encore…

Impasse du marxisme

Marx, dont la pensée révolutionnaire est inspirée de la Révolution Française, s’est trompé pour une raison assez simple. S’il a su mettre en lumière certains mécanismes caractéristiques de l’histoire et que son analyse, notamment économique, ne manque pas de pertinence, l’erreur principale qu’il a commise, d’où découlent les autres, a été de penser la révolution dans une dimension historique et abstraite.
Selon lui, la révolution doit être faite dans le sens de l’histoire et ce sens de l’histoire, il le prédétermine, ce qui est une première erreur. De plus, théorisant ce que doit être la révolution, il en évacue toute charge spontanée. Et dès lors, nous sommes loin de l’homme révolté, car celui-ci n’est plus vu que comme un rouage au service de la révolution qui doit être placée dans le mouvement de l’histoire.
Selon Lénine lui-même, la théorie doit se soumettre la spontanéité, ce qui ne peut déboucher que sur une idéologie de la révolution, ainsi « l’homme n’est finalement qu’un gêneur dans le schéma révolutionnaire inscrit dans l’épure de l’histoire, » en déduit Ellul.

Car le vrai problème du marxisme est d’avoir voulu imposer un système pensé a priori en déclenchant une révolution qu’il fallait maîtriser de bout en bout.

On comprend facilement, et c’est ce qui s’est passé dans toutes les révolutions du XXe siècle d’inspiration marxiste, que pour imposer leur idéologie, leur vision de l’homme dans un sens de l’histoire, les révolutionnaires n’ont pas eu d’autre choix que de prendre le pouvoir et d’imposer un système politique souvent pire que celui contre lequel ils combattaient car, pour atteindre leur objectif, il leur fallait tout maîtriser.

Pour Marx, la révolution devait mener à la disparition de l’Etat, or remarque Ellul, « sitôt que les révolutionnaires prennent le pouvoir, non seulement ils ne le détruisent pas, mais ils le renforcent. » Et c’est là que gît le problème crucial : « qu’on le veuille ou non, depuis 1789, il y a une sorte de constante des révolutions : chaque fois que s’achève une révolution, l’Etat en sort grandi, mieux organisé, plus efficace et embrasse plus de domaines d’intervention et cela s’est régulièrement produit alors que la révolution avait été déclenchée contre l’Etat même, et en vue de le détruire. »

L’erreur impardonnable de Marx est donc de n’avoir pas saisi que la révolution placée dans le sens de l’histoire – ce qui sous-entend déjà qu’elle serait prédéterminée – et en vue d’établir un monde meilleur qu’il faudrait imposer aux hommes, ne pouvait déboucher que sur un renforcement de l’Etat et de ses organismes qui allait restreindre de manière inouïe les libertés individuelles.

Sortir de la vision marxiste

La critique du marxisme que nous venons de résumer pourra paraître vaine et évidente mais ce serait sans compter avec les avatars multiples de cette pensée qui se sont lentement installés dans la pensée occidentale. Ce serait une grave erreur d’omission que de croire que la pensée marxiste a fait son temps et que plus personne ne s’y réfère. La plupart de ceux qui veulent révolutionner le monde aujourd’hui le font au nom d’un avenir meilleur qu’il faut absolument atteindre et dont eux seuls ont une idée à la fois vaste et précise. Et pour imposer leur monde meilleur, ils n’ont pas d’autre alternative que de prendre le pouvoir et, s’ils y parviennent, de renforcer leur emprise pour imposer à tous la vision qu’ils ont de l’homme futur.
Qu’ils soient communistes révolutionnaires, anti-capitalistes, écologistes ou nationalistes, tous, persuadés de détenir les clés de l’avenir de l’humanité, ne désirent qu’une chose : exercer leur pouvoir et légiférer pour laisser le moins d’autonomie possible à l’individu.

Une forme de révolution alternative est-elle possible ?

Pendant les événements de 1968, Ellul relève un premier changement dans l’aspect de la révolution « y compris les émeutes de mai qui dans la mesure où elles sont la négation de l’impératif d’une société technicienne au nom d’un humanisme sont parfaitement réactionnaires, malgré l’outrance du verbe et les mises en question morales. » Cependant nous pouvons nous rendre compte a posteriori, ce qui n’est pas le cas d’Ellul, que les révolutionnaires de 1968 ont pour la plupart fini absorbés par la société de consommation qu’ils rejetaient, en devenant même pour certains les acteurs les plus véhéments.

Pourquoi cette révolution, qui avait éclaté spontanément, comme un coup de frein subit dans le cours de l’histoire forcée a-t-elle échouée ? Parce que la révolte n’était pas assez profonde ? Parce que faite en partie par des bourgeois, ceux-ci ont craint de chambouler complètement l’ordre établi ? Parce que la pensée post-marxiste qui juge que toute révolution doit avoir une fin (à tous les sens du terme) s’est emparée du mouvement spontané pour lui apposer ses slogans et sa vision dogmatique de la marche de l’histoire ?

Quoi qu’il en soit, Ellul, en 1969 note déjà que la révolution en tant que valeur marchande est un produit extrêmement séduisant – et en cela il est très proche de la pensée des Situationnistes.
Si il y a quarante ans déjà il pouvait écrire « la révolution est le pain quotidien de la société d’abondance et de consommation, » que dirait-il aujourd’hui que se vendent par centaines de milliers les t-shirts à l’effigie de Che Guevara et autres icônes de la révolution ?

L’imagerie révolutionnaire a été si bien assimilée qu’elle en est devenue inoffensive

De moment maudit de l’histoire, qu’on ne pouvait ni souhaiter ni éviter, « nous avons ramené la révolution au niveau de l’information quotidienne (…) On lui vouait sa vie, on y jouait sa mort. Mais voici qu’aujourd’hui tout est changé, la révolution est devenue le discours le plus domestique, le plus banal de notre société. »
Et c’est là que réside le principal danger et le génie de notre société de consommation : l’imagerie révolutionnaire a été si bien assimilée qu’elle en est devenue inoffensive, comme un fait quotidien.
On veut bien faire la révolution mais à moindre frais, sans risquer son confort, encore moins sa vie. « On se vaccine et se mithridatise à force d’en parler, elle entre dans l’univers fictif, l’univers des images, créé par l’information, et finit par devenir elle-même fiction. La société dite de consommation a parfaitement assimilé la révolution : désormais elle se consomme comme n’importe quoi. »

Et en creux, nous saisissons où demeure l’authentique geste révolutionnaire : dans un refus de cette société des images, du fictif, du slogan. A l’attention de tous nos cégétistes, Besancenot en herbe et autres manifestants du dimanche, on pourrait encore citer ceci : « user de propagande dans la révolution, c’est provoquer un soulèvement d’hommes aliénés, les aliénant sous le prétexte de les lancer dans la lutte contre l’aliénation. C’est précisément pourquoi en mai 68 on ne peut parler d’aucune prise de conscience vraie. »
(à suivre…)

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