Oubliez la rentrée littéraire, son torrent de médiocrité parmi quelques talents, et redécouvrez les fondamentaux.
CultureMag vous invite chez Aragon où dans La Diane Française (1946), les refrains murmurés se propagent fort bien.
Il est toujours difficile de parler de poésie. Et plus encore d’en conseiller. Au-delà des différents clichés auxquels elle est sans cesse associée, que ce soit celui de la romance mielleuse, des rimes faciles, et j’en passe, elle souffre tout simplement du syndrome de « ce n’est pas fait pour moi ». Pour autant, il n’est pas rare de voir des personnes qui pensaient que « ce n’était pas fait pour eux » s’attacher à un texte poétique, et avoir le sentiment d’un rapport particulier à celui-ci. Car la poésie n’est pas affaire de discussion, pas plus que de conseil ; elle est affaire de rencontre.
On pourrait expliquer par de nombreuses manières pourquoi, plus que tout autre genre littéraire, la poésie demande qu’on la rencontre ; il y aurait là de quoi débattre des heures sur le lien direct entre le poète et le lecteur qui se manifeste dans le poème, l’idée qu’il est souvent court et qu’il induit une intensité plus grande, ou que sa musicalité vient porter le texte plus directement au cœur du lecteur, etc. Mais ce n’est pas ce que je veux faire ici. Disons que je souhaite proposer une rencontre.
Aragon est indéniablement un des plus grands poètes du XXème siècle. Pourtant, lorsque la guerre éclate et qu’il se retrouve à battre la campagne pour échapper à la police — il est communiste et donc recherché—, il cherche à continuer la poésie. Plus encore, il considère qu’il est essentiel, pour la France déchirée qu’il a sous les yeux, de retrouver de l’espoir ; et que la poésie a un rôle prépondérant dans ce retour. C’est alors qu’il va écrire de manière clandestine, sans les signer, des textes qui vont voyager de main en main sur tout le territoire français. Plus que jamais, la poésie va matérialiser un lien entre des hommes et des femmes, lesquels certes, étaient désespérés. Revenant à la chanson, aux formes anciennes et aux figures mythiques et historiques françaises, il fait vivre dans ses poèmes toute la France et lui redonne une grandeur que le paysage d’alors ne portait plus.
C’est pourquoi, de tous les recueils de poésie, La Diane française est sans doute un de ceux que l’on peut le plus conseiller de lire sans craindre de la voir se faire taxer d’élitisme ou d’hermétisme, pas plus que de romance plate. C’est un recueil dont la grande technique est toujours subtilement habillée, et est porteuse d’une parole puissante qui résonne en nous. C’est également un voyage à travers l’histoire et le territoire de France : un formidable parcours, toujours en chanson.
Parmi ces poèmes, certains sont encore célèbres de nos jours : on pense à « La Rose et le réséda » ou encore à « Il n’y a pas d’amour heureux » que Brassens a magnifiquement mis en musique. Mais les autres ne sont pas en reste, et nous nous proposons d’en livrer quelques extraits :
« Ballade de celui qui chanta dans les supplices »
Il chantait lui sous les balles
Des mots sanglant est levé
D’une seconde rafale
Il a fallu l’achever
Une autre chanson française
A ses lèvres est montée
Finissant la Marseillaise
Pour toute l’humanité »
« La Nuit de Juillet »
J’ai beau me dire Dors Il me faut reconnaître
Qu’un feu diffus met un peu d’or à ma fenêtre
« Les Roses de Noël »
Quand nous étions des étrangers en France
Des mendiants sur nos propres chemins
Quand nous tendions aux spectres d’espérance
La nudité honteuse de nos mains
Peut-être ceux-ci ne seront pas vos préférés. Peut-être n’y aura-t-il qu’un poème qui retiendra votre attention. Mais je ne peux que vous encourager à aller à la rencontre de ces textes, à prendre le recueil pour en tourner les pages, et, au détour d’un mot, d’en arrêter le défilement pour vous laisser gagner par le texte qui, quelques secondes plus tôt, vous a appelé d’un mot, qui est venu à vos yeux autant que les vôtres à lui.
De cette rencontre naîtra peut-être un sentiment puissant ou léger, un picotement au cœur ou une larme au bord du sanglot. Cela vous regarde. Mais la poésie aura eu lieu.
Maximilien Herveau
A lire : Seul et à voix haute
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