Voici 25 ans qu’Antoine Blondin est mort, l’auteur de L’Europe buissonnière, Les enfants du bon Dieu, L’humeur vagabonde, que les éditions de la Table Ronde rééditent dans leur collection « La petite vermillon », mais aussi de ce chef d’œuvre qu’est Un singe en hiver que le film d’Henri Verneuil a largement contribué à faire connaître, bien qu’il ne rende pas tout à fait justice à un roman qui surpasse un film pourtant magistral.
La Table Ronde réédite également Sur le Tour de France qui rassemble parmi les plus belles pages consacrées au sport, celles d’un Blondin qui a chroniqué (presque) toutes les étapes de 27 Tour de France pour le compte de L’Equipe de 1954 à 1982. Roi du calembour et du pastiche, comme l’explique Alain Cresciucci dans son essai Le Monde (imaginaire) d’Antoine blondin, Roger Nimier forgea pour désigner son style le verbe « blondiner » qui signifie à peu près mélancolie joyeuse.
Si celui-ci et d’autres Hussards lui reprochaient d’avoir le calembour trop facile, ils s’inclinaient néanmoins devant son immense talent littéraire servi par une mémoire hors du commun et que les litres de pastis avalés non plus que les coups reçus sur le crâne, particulièrement par ces rugbymen avec qui il aimait partager des coups, n’ont pu entamer.
D’aucuns diront que la poésie de Péguy n’est pas la plus difficile à pasticher, on en demeure nonobstant ébahi par ce poème de quarante vers que Blondin troussa pour rendre compte de la dernière étape du Tour de France 1955, étape Paris-Tours, par lequel il pastiche de mémoire le célèbre Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres, intitulant le sien Présentation de la course à Notre-Dame de Chartres et qui commence ainsi :
Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde foule et l’océan d’acier
Et l’émouvante houle aux torses des coursiers,
Peloton resserré, essaim, ultime grappe.
Quelle culture et quel talent faut-il avoir pour convoquer de mémoire au soir de chaque étape l’écrivain ou le poète local, afin d’illustrer une chronique sportive ! Ce sont ainsi Jacques Prévert, Villon, Mme de Sévigné, Manon Lescaut, Victor Hugo, Cyrano de Bergerac… qui servent de guides et lui fournissent les jeux de mots de ses chroniques. Littérature secondaire, diront certains. Mais l’écrivain n’a-t-il pas pour premier devoir de faire vivre la langue, et quel meilleur moyen de la faire vivre que de convoquer les poètes et les écrivains d’autrefois pour les glisser entre les feuilles d’un journal sportif ?
Cet amour de Blondin pour le sport, la cigarette, le pastis et les beignes des rugbymen, Jean Cormier et Symbad de Lassus en rendent parfaitement compte dans leur ouvrage Blondin qui rassemble en outre les témoignages de ceux qui l’ont connu : Michel Déon, Bernard Pivot, Raymond Poulidor, Jean-Paul Belmondo, Juliette Gréco…
Ce livre ajouté à celui d’Alain Crescuicci ne dispensent pas de lire Blondin, ils permettent seulement d’approcher au plus près de l’homme, mystérieux bègue dont une partie est demeurée en enfance et qui aura hanté les pavés de Saint-Germain-des-Prés comme une ombre ivre, comme Verlaine un siècle avant lui.
C’est néanmoins de Baudelaire qu’il semble avoir été le plus proche, le titre de son roman L’humeur vagabonde s’inspirant probablement de L’invitation au voyage (Vois sur ces canaux/ Dormir ces vaisseaux / Dont l’humeur est vagabonde ;), la dernière phrase de ce roman qu’il emprunte à Ramon Fernandez « Un jour, nous prendrons des trains qui partent », rappelant non seulement L’invitation au voyage mais aussi Mœsta et errabunda (Emporte-moi, Wagon ! enlève-moi, frégate ! / Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! / – Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe / Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, / Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?).
Dans Monsieur Jadis, Blondin évoquant l’Hôtel du Quai Voltaire où il a vécu écrit : « Il était admis que sa chambre avait abrité Richard Wagner, lors de son premier séjour à Paris, et que Baudelaire avait quelquefois fouetté sa négresse à l’étage au-dessus. » Mais si l’on peut s’accorder avec Alain Cresciucci pour dire que L’humeur vagabonde n’est pas un roman baudelairien, il est plus difficile de le suivre lorsqu’il écrit que Blondin, « être désordonné rêvant d’ordre il avait tout à redouter d’un anarchiste comme l’auteur des Fleurs du mal. »
Voir en Baudelaire un anarchiste nous paraît excessif, si l’on excepte sa période de 1848 où il était allé faire le coup de feu sur les barricades en appelant à tuer son beau-père, mais qui est une période sur laquelle Baudelaire portera plus tard un regard sévère. Baudelaire vivait comme Blondin le désenchantement de la politique et si c’est ainsi que l’on peut qualifier Baudelaire d’anarchiste, l’épithète revient aussi bien à Blondin. Un « être désordonné rêvant d’ordre », cela caractérise aussi bien Baudelaire que Blondin.
Comment peut-on ne pas rêver d’ordre en écrivant « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté ».
Et puis, encore ceci, qu’évoque Alain Cresciucci, le fait d’être comme le poète un disciple de Boileau, « comme lui qui se juge trop classique pour son temps ». Ce qui nous prouve une fois de plus que le classique a une longévité d’avance sur les autres.
Alain Cresciucci, Le Monde (imaginaire) d’Antoine blondin, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 206 pages.
Jean Cormier, Symbad de Lassus, Blondin, éditions du Rocher, 195 pages.
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