Richard Millet : Déchristianisation de la littérature

« Si vivre sans musique est une erreur, se passer de littérature est un consentement au pire ».
Par Déchristianisation de la littérature, Richard Millet poursuit la réflexion qu’il a entamée dans Désenchantement de la littérature, sinon déjà présente dans les textes qui forment Le sentiment de la langue I, II, III et qu’il a notamment poursuivie dans L’Enfer du roman : Réflexions sur la postlittérature, puis dans De l’antiracisme comme terreur littéraire et Langue fantôme, suivi d’Eloge littéraire d’Anders Breivik, textes qui lui ont valu l’ostracisme du milieu littéraire.

Qu’est-ce qui peut expliquer l’agonie de la littérature sinon le renoncement à ce qui l’a éclairée avant même les récits épiques et mythologiques : la Bible ? Ne reste plus, selon Millet, qu’à décrire la chute, la perte, la mort en cours et l’avènement de ce qu’il nomme l’Après : le monde d’après la littérature, d’après le christianisme, d’après le verbe ordonnateur. Renonçant à la vision chrétienne du monde, c’est à la possibilité du Mal que les écrivains ont renoncé, et c’est ainsi qu’ils ne savent plus expliquer, sinon dire, le monde et ce qui agite les hommes. Aussi la langue périt-elle dans un langage qui n’est plus, au quatre coins du monde civilisé, qu’un anglais mal prononcé, tout livre se devant d’être immédiatement traduisible dans l’anglais international et adaptable par Hollywood. Dieu n’est pas l’Un mais le rien, le zéro, pensait Philippe Muray, la foule indénombrable et mimétique étant l’Un, et le monde plongeant dans un Amêmement, comme dit le philosophe Jean Vioulac. Où plus rien ne se distingue, où tout agit d’un même élan, parle d’une même bouche pour ne rien dire, nous ne sommes plus dans le monde, mais déjà dans l’Après. Pas encore dans l’au-delà, non, dans une sorte de purgatoire où seuls quelques-uns sentent encore la présence lointaine, voilée, de Dieu. Comment écrire encore, sinon dans la droiture infaillible de la langue pour tenter de sauver ce qui peut l’être, non pas dans la prévision de ce monde déjà perdu mais de l’autre, à venir, et qui, apparaît-il parfois, tarde à venir ?

« Nous savons comment ça a débuté, commencements, ouvertures, recommencements, ressassements, silence des époques intermédiaires ; et nous entrevoyons la fin dans le présent qui se dérobe au cœur du chant : tel serait l’Après – une torsion spatio-temporelle née d’une erreur de concordance des temps. »

 

Ajoutons que Richard Millet vient de publier le premier tome de son Journal (1971-1994) aux éditions Léo Scheer.

Richard Millet, Déchristianisation de la littérature, Léo Scheer, 228 pages, 16€

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